Savoir-faire d’antan en Franche-Comté

, par  les Alwati

Le monde des techniques change tellement vite, que l’on imagine difficilement aujourd’hui comment nos aïeux vivaient sans moteurs, sans voiture et sans électricité. L’on ne se doute pas non plus de leur ingéniosité. Tout un travail sur la mémoire du geste s’est opéré entre autres dans la région doloise (Jura) depuis les années 1980. Il est périodiquement redonné à la population au cours de veillées, de fêtes, d’expositions ou d’articles. Ici par Internet, voici une vingtaine de vieux métiers.

LE DEFOUILLAGE DU MAÏS

Dans les secteurs où l’on cultivait le maïs, c’est-à-dire pas plus haut que pour la vigne, le premier travail après la récolte en octobre, consistait à défeuiller (ou dépouiller, ou défouiller) les épis ou penouilles pour les empêcher de moisir (ne pas dire grappe, le maïs étant une céréale). Cette besogne ouvrait le temps des veillées, approximativement de la Saint Michel à Carnaval. On se réunissait chez les uns ou chez les autres, dans l’houteau (cuisine) ou dans la grange. On laissait deux feuilles à chaque penouille pour les nouer ensemble par douze et former ainsi des « bouillots » ou des glanes, à suspendre sous l’avant-toit ou « sombadjon ou sombardon », à cheval sur des perches.

Au fur et à mesure des besoins, il fallait égrener. Soit en frottant deux épis l’un contre l’autre, soit en raclant l’épi au bord d’un récipient, soit en passant une bague munie à l’intérieur de picots. Le plus expéditif était l’égreneuse ou « vougreuse ». Le trognon restant s’appelle penouillon et servait à allumer le feu. Les feuilles séchées pouvaient servir pour les matelas des enfants. Tel quel, le maïs est donné aux volailles. Sous forme de farine, aux vaches et aux cochons. En Franche-Comté et en Bresse, on eût l’idée de griller le maïs avant de le moudre, ce qui donne les gaudes, farine de maïs grillé, alors que la polenta est une farine ou une semoule de maïs non grillé (Italie, Savoie).

Originaire d’Amérique Centrale et Mexique, base des civilisations Inca, Aztèque et Maya, le maïs débarque en Espagne en 1493 à Séville, dès le premier retour de Christophe Colomb. Il prend le nom de blé de Turquie (par oubli de son origine) dans la région de Venise vers 1530 et traverse l’Italie et la Savoie. Contrairement à ce qu’on a dit depuis le 19e siècle, le maïs n’arrive pas en Franche-Comté par Arinthod en 1640, mais en suivant l’actuelle Nationale 83. Les historiens le repère actuellement à Flacey-en-Bresse (71), limitrophe de Vercia (39) en 1611, Montpont 1612, Louhans 1625, Chilly-le-Vignoble 1629, Courbouzon et Arbois 1639, Dole 1640, Champlitte 1664. Avec le pain, les gaudes serviront de nourriture de base en plaine jusqu’au début du 20° siècle, dans une dizaine de départements de l’Est, du sud de la Haute-Marne jusqu’au Rhône et l’Isère.

Cf. Revue La Racontotte N° 42. 1993. 25210 Mont de Laval. 03 81 68 91 91

Cf. Livre « 80 recettes de gaudes », par Les Alwati. Editions : L’atelier du grand tétras. 4ème édition en 2009

Cf. cancoillotte.net Rubrique : Saveur. Article : Le maïs blanc de Bresse

Cf. Le dernier grand moulin à gaudes : www.gaudes-de-chaussin.com

CARDAGE ET FILAGE DE LA LAINE

Vivant le plus possible en autarcie, les anciens fabriquaient au maximum tout ce dont ils avaient besoin, comme tricots, chaussettes ou couvertures de laine. La laine est la toison du mouton. Elle a deux qualités exceptionnelles : isolation et absorption de l’humidité sans donner l’impression d’être mouillée. Car les fibres de laine sont creuses et recouvertes de petites écailles qui en s’accrochant les unes aux autres permettent la confection du fil.

Pour utiliser la laine après la tonte au mois de mai, il faut d’abord la laver soigneusement à la main (avec 9 changements d’eau) et la faire sécher à l’ombre pour éviter le feutrage. Puis on la carde (ou peigne) plusieurs fois, avec des cardes, c’est-à-dire des petites planches en bois recouvertes de pointes recourbées. On obtient un petit rectangle de laine bien aérée qui s’appelle un cardon. Avant l’invention des cardes, les femmes utilisaient les grosses fleurs piquantes des chardons appelés « cardères », d’où le nom de « carde ».

Le filage se faisait au moyen-âge à l’aide de quenouilles. Après étirage, le fil est torsadé et enroulé. L’invention des rouets vers le 17° siècle va permettre d’aller plus vite avec un fil plus régulier. Pour sortir des couleurs naturelles du mouton (blanc ou noir), on trouva le moyen de teindre la laine à partir de plantes et de fleurs, par décoction. Exemple : le pastel dont on tire depuis l’antiquité une teinture bleue réputée. Pour la teinture végétale, une association est incontournable : « COULEUR GARANCE ». Le château. 84360 LAUNIS. Tel 04 90 08 40 48. Une dizaine de cahiers. 90 plantes.

Pour la fabrication des tissus, c’était le chanvre le plus utilisé, puis le lin et en dernier la laine. Le coton était aussi utilisé, bleu pour les tabliers, rouge pour les serviettes. La chènevière faisait partie du paysage de nombreux villages, dans des parcelles soigneusement ameublées et fertilisées. Elle était comme le symbole de la prospérité familiale, témoignage de la richesse en linge et de l’abondance du trousseau.

LES BRODERIES

Au fil des veillées, les filles devaient travailler à la confection de leur trousseau, ce qui s’accomplissait peu à peu au cours des années. Le trousseau leur servait tout au long de la vie.

LA BRODERIE AU POINT DE CROIX

C’est l’une des plus anciennes que l’on connaisse et la plus répandue dans le monde. Les premiers ouvrages retrouvés datent du 13e siècle. A cette époque, elle était réalisée avec du fil de soie ou d’or, sur des vêtements destinés à la noblesse et à l’Eglise. Dès le 14e, elle se répand dans la bourgeoisie pour atteindre au 16e une vogue sans précédent. Au fil des années, elle est devenue plus populaire. Au milieu du 19e, c’est à Berlin (ou à Appenzell en Suisse alémanique) que se répandit la mode des grands motifs naturalistes (fleurs, animaux) avec fils de laine.

Le point de croix simple est des plus faciles à réaliser. Les jeunes filles apprenaient à broder dès l’âge de 7 ou 8 ans. Elles brodaient sur une toile de lin ou de coton avec du fil de coton ou de laine. La couleur était rouge pour le linge courant, symbole de la vie dans les veines, et blanc pour le linge de belle qualité. Le test de l’habileté des jeunes filles était un abécédaire qui permettait une initiation à la lecture et à l’écriture. En même temps, les initiales marquées sur le linge (monogrammes) indiquaient son appartenance tout en se prêtant à l’ornementation. Il existe de nombreuses variantes du point de croix.

LA BRODERIE RICHELIEU

C’est une broderie qui donne beaucoup d’effets. Il faut d’abord décalquer le modèle sur le tissu à broder, puis former des « brides » (des boutonnières) et enfin festonner (faire des points de feston). En dernier lieu on découpe. Cette broderie s’appelle « Richelieu » (1585-1642) en souvenir du ministre de Louis XIII qui l’importa d’Italie. On confectionne ainsi nappes, napperons, chemins de table, rideaux et autres revêtements de coussins.

LA BRODERIE SUR FILET

Le filet est un des ouvrages les plus anciens qu’on repère chez tous les peuples primitifs pour la chasse et la pêche. On le retrouve au Danemark à l’âge du bronze, en Chine, Egypte, Israël ou chez les Romains. Composé d’abord de mailles simples reliées par des nœuds, le filet s’est transformé peu à peu pour arriver à obtenir des ouvrages d’art. Le choix du fil dépend de l’emploi (coton, lin, soie). La forme des mailles est celle du carré ou du losange. Il faut distinguer le filet proprement dit ou filet simple et le filet brodé ou artistique. Les dessins du filet simple proviennent de la façon d’enlacer les mailles (simples, doubles, allongées, glissées) et de la grosseur du moule (baguettes en bois). On obtient ainsi des filets en carré ou en rosace, avec toutes sortes de mailles.

Au 16e siècle, Catherine de Médicis (1519-1589) reine de France, originaire de Florence, introduit le filet brodé à la cour de France et le pratique avec engouement. Marie Stuart (1542-1587), reine d’Ecosse, élevée à la cour de France, est également très habile ainsi que sa belle sœur Marguerite de Valois, reine de France. Après une éclipse, le filet revient à la mode à la fin du 18e, ainsi que le point de Tulle travaillé avec élégance par les brodeuses de Corrèze. Au 19e, il est présent sur les rideaux, dessus de lits, retours de draps, chemins de tables, fonds de plateaux, nappes, napperons, dessus de cheminée, pochettes, chemises de jour et de nuit, robes…

Le 20e siècle voit un engouement pour les éditions de journaux de mode. Avant 1940, la fabrication manuelle du filet simple disparaît au profit du confectionnement mécanique avec différentes grosseurs de mailles (Flers dans l’Orne ou Dampierre-les-Conflans en Haute Saône). Le village de La Perrière dans l’Orne est renommé pour les qualités du travail et son filet perlé. Le filet brodé par les filetières permet la reproduction de dessins à l’aide de points variés comme les points de toile, de reprise, d’esprit, de Venise, de feston, de languette, de bride, de croix, de Hongrie, russe… Il est alors tendu sur un cadre où les petits carrés du filet servent de base pour les points qui peuvent donner étoiles, feuilles, fleurettes, dents, roues, losanges, grillages... Selon pays et époques, le filet s’appelle réticule, résille, réseau, lacis, canevas…

Cf. Encyclopédie des ouvrages de dames. Thérèse DILLMONT. Bibliothèque DMC. 19e

Cf. Le secret des dentellières. Ed. Carpentier. 1998

LA BRODERIE CAMPAGNARDE

Une des grandes devises d’autrefois était qu’il ne fallait rien perdre. Même les tissus usagés retrouvaient une utilité pour fabriquer des tapis à peu de frais et décorer ainsi la maison ou se protéger du froid. On découpait ou déchirait les vieux vêtements en lanières et à l’aide d’un crochet on les piquait dans la toile de jute d’un sac de farine ou de pommes de terre. Avec les lanières ou lirettes de différentes couleurs, on parvenait à réaliser de jolis dessins. Quand ce tapis de chiffon devenait trop vieux, il pouvait encore servir de carpette pour le chien !

LES DENTELLES

La dentelle est une combinaison de fils travaillés ensemble, existant indépendamment de tous supports. Cette combinaison ajourée est travaillée par la « dentellière » et exécutée à l’aide de plusieurs fils tressés au moyen de fuseaux ou à l’aide d’un fil conduit par une aiguille. D’où deux sortes de dentelles : aux fuseaux et à l’aiguille. Pour les puristes, le tricot, le crochet, le filet, le tulle, la broderie anglaise, la broderie Hardanger, les jours, la frivolité, le macramé, la dentelle mécanique, la dentelle chimique ne sont pas des « dentelles », mais restent des travaux d’art. (Définition de Lefebvre au 19e, confirmée par Mme Risselin des Musées d’arts royaux de Bruxelles). Pour la datation on se reporte aux peintures.

LA DENTELLE AUX FUSEAUX

Elle se rapproche du tissage des étoffes par l’entrecroisement et le tressage des fils. On a découvert en Egypte des coiffures et des tuniques ayant grande analogie avec le travail des fuseaux. On a même retrouvé des fuseaux encore chargés de fils. Cet art aurait pu être transmis à la péninsule italique à la conquête romaine. Les plus anciennes mentions connues de ce travail se trouvent à Milan en 1493. On le retrouve en Flandre où se développa une industrie considérable et réputée (Malines, Bruges, Binche, Bruxelles…). La France avec l’Italie, l’Espagne, la Belgique partagent l’honneur d’être un des plus anciens et des plus importants pays dentelliers.

La dentelle est en fait considérée comme une invention du 16e siècle. Catherine de Médicis (1519-1589), originaire de Florence, la pratiquait à la cour de France. On parlait aussi de « guipure ». Elle se répandit rapidement en Europe pour se transformer en symbole de statut social. Au 17e, le marché est dominé par le point de Venise et le point de France. Les hommes plus que les femmes aiment embellir leur costume d’ouvrages en dentelle. Ce sera l’inverse au 18e. Vu son prix, Colbert voulut doter le Royaume de France de l’industrie des dentelles aux fuseaux : Aurillac en Auvergne, Le Puy-en-Velay, Craponne. Et cela se répandit. Dans le Nord : Quesnoy, Valenciennes, Lille, Arras. En Normandie : Le Havre avec 20000 femmes de pêcheurs, Caen. En Ile de France : Paris, Chantilly. En Lorraine : Mirecourt. Le 18e fut la période la plus glorieuse. Marie-Antoinette lui donnait sa faveur.

Cette dentelle nécessite principalement un coussin (appelé encore carreau, tambour, oreiller ou métier), des fuseaux (sortes de bobines avec manche), un patron ou piqué (dessin reporté sur un carton) et des épingles à tête ronde. Le travail se fait toujours avec quatre fuseaux en même temps, soit deux paires. Deux seuls gestes sont nécessaires : Croiser en allant de gauche à droite et Tordre ou Tourner en allant de droite à gauche. Dans la dentelle aux fuseaux, les parties principales du dessin sont travaillées avec des points serrés, tels que le point filet et le point de toile. Les différents points permettent d’identifier l’origine des dentelles.

Cf. Encyclopédie des ouvrages de dames. Thérèse DILLMONT. Bibliothèque DMC. 19°

Cf. Dentelles au fuseau de Cluny. Ed Carpentier. 1999.

Cf. L’encyclopédie DMC. Flammarion. 1981

LA DENTELLE A L’AIGUILLE : LE LUXEUIL

Luxeuil se trouve sur la route des textiles, ouvertes dès le Moyen-Age et qui allait des Flandres à l’Italie. Cette dentelle se situe dans la tradition des célèbres dentelles de Venise ou de Milan que Colbert (1619-1683) sous Louis XIV introduisit en France au 17e siècle. Au milieu du 18e, les femmes de Haute-Saône savaient déjà faire le filet italien et certains points de dentelle (Bruges, Milan, Venise). Vers 1850, le tourisme thermal offre le développement de ces métiers textiles.

Au début du 20e siècle, plus de 20 000 dentellières, le plus souvent à domicile, travaillaient à réaliser de merveilleuses pièces d’ameublement (rideaux, stores, couvre-lits, nappes, napperons) et de lingerie (robe, corsages, manteaux, cols). La guerre de 1914 freine l’expansion de ce commerce sans l’anéantir. 50 000 brodeuses ou dentellières sont dénombrées en Haute-Saône en 1931. La guerre de 1939 sonne le déclin, ainsi que l’évolution des mœurs et la concurrence. En 1978, la municipalité de Luxeuil crée le « Conservatoire de la dentelle » dit le Tiavaux (nom patois signifiant la réunion de dentellières bavardes), où les anciennes dentellières transmettent les gestes et les points aux plus jeunes. En 2000, on ne compte plus que 5 ateliers et quelques dizaines de dentellières pour la haute couture. Sur fond de dessin guidant l’ouvrage, un lacet suit arabesques, volutes et motifs floraux stylisés. Le lacet est ensuite agrémenté et soutenu par une grande variété de points à l’aiguille.

Cf. Les vieux métiers de Franche-Comté. Evelyne Salmon. Delta 2000.

Cf. Dentelles de France. Mick Fouriscot. Bonneton. 2001

Cf. Le Luxeuil. M. Fouriscot & H Morel. Carpentier. 2001

LA DENTELLE A NAVETTE ou FRIVOLITE

D’origine inconnue, on trouve trace de cette dentelle en France à partir de 1750. Elle a pu être inspirée du macramé dont le travail est très voisin. Elle est réalisée à partir de nœuds successifs ou festons destinés à faire des ronds et des cerceaux ornés de picots. La frivolité nécessite comme instrument de base une ou plusieurs navettes et un simple crochet. Le résultat est surprenant de finesse et de légèreté. De là proviendrait le nom de cette dentelle : frivole au sens de léger, agréable à voir. Elle est employée comme garniture de robe et de manteau ou pour border rideaux et coussins.

LES DENTELLES MECANIQUES

Ces dentelles sont réalisées sur des métiers à tisser. Elles sont nées en Angleterre en 1809 et améliorées en 1814 par Leavers. Les machines passent en France en fraude à Saint-Pierre les Calais en 1816. La première machine française est de 1823 par Noël Dubout. En 1833, Mr Ferguson adapte le système Jacquard, machine à bras. En 1840, c’est la machine à vapeur et la naissance des métiers Rachel pour des dentelles plus épaisses. Naissance du label « Calais ».

LA DENTELLE CHIMIQUE

Elle est née en Allemagne en 1883. La broderie s’effectue en coton sur tissus de soie. Cette soie est ensuite trempée dans de la soude caustique et se dissout. Il ne reste que les broderies. Elle permet une très bonne imitation de la dentelle à l’aiguille (Venise). Actuellement, le centre de fabrication de cette dentelle se situe à Saint-Gall en Suisse.
Merci à Madame Michèle ANDRE pour sa précieuse relecture de "Broderies et Dentelles".

LE CROCHET

On sait peu de choses sur l’origine du crochet, simplement qu’on utilisait le même type de point pour nouer cordes et lacets. Cette tradition semble être née en Allemagne au 17e siècle avant de se diffuser dans l’Europe entière, avec une apogée au 19e. Ce genre d’ouvrage emprunte son nom à l’outil qui sert à le produire. Le travail débute par la réalisation d’une seule chaînette jusqu’à la longueur désirée et l’on recommence un deuxième rang en piquant dans la rangée précédente pour former des rangs horizontaux ou dessiner un cercle.

Le crochet permet de travailler n’importe quel fil : laine, coton, ficelle, lin, chanvre, raphia, bandes d’étoffe. De grosseur variable, les crochets sont des sortes d’aiguilles, longs de 15 cm environ, avec une extrémité recourbée. Ils sont réalisés en différents matériaux : acier, aluminium, plastique, bois, os. Nos grand-mères s’y montraient particulièrement expertes et il existe toutes sortes de points. On a retrouvé à La Loye (Jura) datant du début 20e siècle, des petites « pèlerines » noires en laine, simples et doubles, pouvant couvrir les épaules et éventuellement la tête (70 heures de travail).

Cf. Le crochet. Ed Auzou. Paris 2000

LES CORDIERS

Pour fabriquer les cordes utilisées dans les fermes (cordes à veaux, cordes de levage), on se servait d’un « moule à cordes ». Il se compose de deux parties : l’une appelée rouet comporte généralement quatre crochets mus par une seule manivelle, à l’autre côté se trouve le carré, c’est-à-dire un seul crochet pivotant fixé sur un poteau lui-même monté sur des roulettes.

On passe le fil d’un crochet du rouet à celui du carré et on revient sur un deuxième crochet du rouet. Et ainsi de suite en suivant un huit. La grosseur de la corde dépend du nombre de huit effectué. A l’épaisseur voulue, un aide fait tourner les crochets du rouet, pendant que le cordier prend soin de maintenir les fils séparés. Les fils torsadés deviennent des torons. Au fur et mesure qu’ils se forment, le carré se rapproche un peu du rouet. Au moment où les torons sont assez torsadés, le cordier glisse entre eux un billot ou toupin (petite pièce en bois de forme ovale, assez creusée pour engager les torons) et le place contre le crochet du carré qu’un autre aide fait alors tourner, pour permettre aux quatre torons de se torsader ensemble. La corde se forme à mesure que le cordier conduit le billot vers le rouet.

Aujourd’hui en matière synthétique, les cordes d’autrefois étaient souvent en sisal, nom d’une agave du Mexique aux feuilles fibreuses. (L’agave très ornementale peut atteindre 10 m. C’est aussi le nom d’un port, ancien centre de la civilisation des Mayas). Pour ne rien perdre on utilisait aussi les ficelles liant les bottes qu’il fallait alors rapondre, sinon osier ou leiche (grande herbe coupante) pouvaient également lier les bottes moissonnées.

LES SABOTIERS

Selon le principe d’autarcie, dans chaque famille d’autrefois, il y avait quelqu’un sachant fabriquer, entièrement à la main, les sabots de tous les membres de la famille. Le bois choisi peut être le bouleau, le tilleul, le frêne ou le noyer. On fabrique d’abord des carrelets, de simples rectangles qui attendent d’être grossièrement ébauchés. Puis il faut le creuser avec des tarrières . Le paroir, sorte de couteau dont la pointe est fixée à l’établi, permet de tailler la pointe et le talon du sabot. Les différentes cuillères finissent le trou pour donner le confort désiré. Pour finir, une gouge grave une dentelle florale, sorte de signature du sabotier. Il ne reste plus qu’à fixer la bride. Aujourd’hui, le travail artisanal est fortement concurrencé par les machines numérisées.

Cf. www.sabotiers-bressans.com

Un des derniers fabricants de sabots dans le Jura est Michel SIMONET, 12 rue de Champagnole - 39300 Ney - tel : 03 84 52 61 01

LES VANNIERS

L’osier se coupe à l’entrée de l’hiver pour être trié par grandeur (80, 100, 120 cm) et mis en bottes de 30 cm environ. Au printemps, les bottes sont dressées dans des bacs remplis d’eau à 15 cm ou dans des trous d’eau. En avril-mai, après la montée de la sève, le vannier épluche (save) les osiers avec un savou (sorte de bâton à demi fendu). On parle de 80 sortes d’osier. A La Loye (39), on utilisait l’osier sauvage dit Sainte-Reine. Avec les branches flexibles d’osier, de saule ou de bourdaine, les vanniers tressaient des paniers, des vans, des vanottes ou cabuchons (pour faire gonfler la pâte à pain avant d’enfourner). Ils habillaient aussi les bonbonnes. Ils effilaient également les jeunes pieds de chêne ou de frêne et fendaient les branches de noisetier pour réaliser les côtes ou les hottes.

Ils savaient encore tresser la paille de seigle pour en faire des récipients à grains, à farine ou à œufs sans oublier les ruches en paille. Par rapport aux paysans, ils étaient marginaux, habitant dans de petites maisons à l’écart. Vivant de peu, aux premières heures de la matinée, ils avaient déjà assez confectionné de paniers pour vivre le reste de la journée comme ils l’entendaient. Aujourd’hui, l’école nationale de vannerie se trouve à Fayl-Billot en Haute-Marne, à la limite de la Haute-Saône.

Cf. aussi La Racontotte N° 71, 73…. Articles de Jean-Marie MICHELAT

LES COLPORTEURS ET REMOULEURS

Jusqu’au 19e siècle, pour ne pas mendier, beaucoup s’efforçaient de gagner leur pain en rendant de multiples services. Ainsi les colporteurs qui vendaient ce qu’ils pouvaient porter sur leurs épaules dans des coffres à tiroirs (fil, aiguilles, boutons, livres, images, allumettes). D’autres étaient rémouleurs, c’est-à-dire portaient une meule à aiguiser sur leurs épaules, une brouette ou une remorque et aiguisaient les couteaux ou les ciseaux des maisons. On ne les payait pas, mais on leur offrait à manger et à dormir (dans la paille). On les appelait des « gagne-petit ». Pour gagner quand même trois sous, ils récupéraient les peaux de lapin qu’ils vendaient aux tanneries pour faire des manteaux ou des manchons. Souvent le rémouleur portait un bâton pour s’aider dans la marche ou se défendre contre les brigands et les chiens.

LES BÛCHERONS – ECORCEURS

Les bûcherons (ou coupeurs) s’installaient avec leurs familles au sein ou au bord des forêts pour être au plus près de leur travail. Au 19e siècle, on en compte 600 en forêt de Chaux (entre Dole et Besançon). Les outils traditionnels étaient la hache ou cognée, la serpe, la scie et le passe-partout. Mais les effectifs de ce rude métier vont s’effondrer au 20e siècle avec la mécanisation.

Le levage des écorces n’était pas une profession à part entière, mais une activité découlant du bûcheronnage, souvent pratiquée par les femmes et les enfants. Le travail des leveurs d’écorce devait se faire au début du printemps avec la montée de la sève. Les écorces de chênes étaient mises à sécher et rassemblées en fagots de longues bandes (1,33 m) pour être livrées aux tanneurs. Ceux-ci, après broyage dans un moulin à écorce, en extrayaient le tannin nécessaire à la conservation des peaux.

Cf. Bulletin de l’association des villages de la forêt de Chaux. N° 19 de 2003

LES SCIEURS DE LONG

Avant l’invention des scieries, les planches et les poutres étaient sciées à la main, dans le sens de la longueur des arbres. Pour cela il fallait une scie spéciale, à cadre, dite « belle mère ». Le tronc à scier était levé sur une chèvre, à 2 mètres environ du sol. Un homme dit l’écureuil ou le chevrier montait dessus chargé de relever la scie (sans scier) et de la conduire droit. Un autre au-dessous dit le renard rabattait la scie vers le bas tout en recevant la sciure sur son chapeau et dans les yeux. A mi parcours de l’arbre, les scieurs font faire un demi-tours à la pièce. Il faut 12 heures pour débiter 20 m de planches. Ce travail extrêmement fatigant ne pouvait être pratiqué que dans la force de l’âge. Le plus souvent c’était des Auvergnats et plus tard des Italiens qui venaient dans nos régions entre la St Michel et la St Jean d’été. Ces ouvriers itinérants suivaient les chantiers d’abattage. Evidemment, ce n’était pas en travaillant qu’ils pouvaient chanter la chanson des scieurs de long dont il existe une dizaine de versions.

Cf. Bulletin de l’association des villages de la Forêt de Chaux. N° 16. Février 2000

LES FENDEURS

C’était des spécialistes utilisant un chevalet à fendre, un coutre et un coin. Le hêtre et le chêne se fendant mieux que l’orme ou l’érable, permettaient de réaliser rames, gouvernails, chevilles des vaisseaux, les merrains pour la fabrication des tonneaux, les échalas pour la vigne et les lattes pour tuile et ardoise. Certains bois courbes étaient destinés au charronnage. Les déchets issus de l’ébranchage réalisé à la serpe, étaient réunis en fagots. Comme rien ne se perdait, on vendait les copeaux d’abattage et le petit bois (la ramille).

Cf. Jean-Claude CHARNOZ. Un Canard sur la Loue. N° 77. Janvier 2006. p 29

LES CHARBONNIERS

Le charbon de bois était la première source d’énergie des usines du 19e siècle jusque vers 1880 (forges, salines, verreries). Il jouait un rôle essentiel dans le traitement des minerais métalliques. Car le coke contenant du soufre non alors éliminé rendait la fonte cassante. 100 kg de fonte requièrent 160 kg de charbon de bois. On le fabriquait en forêt, de mars à novembre, dans des meules de 20 à 30 stères (voire 60 et même 100) de charbonnettes de 66 cm de longueur et d’un diamètre allant de 3 à 8 cm. La part en dessous de 8 cm n’était pas vendable et revenait au charbonnier. La part des brindilles jusqu’à 3 cm servait à confectionner les fagots. Les résineux ne convenaient pas. Les bois charme ou hêtre étaient dressés, légèrement inclinés, par couches superposées, autour d’un mat central, sur une aire appelée faulde.

La meule ou fourneau de forme hémisphérique, d’un diamètre de 8 à 10 mètres et d’une hauteur de 1,50 à 2 m, était recouverte de feuilles mortes puis de terre friable mélangée de poussier des fourneaux précédents, avec quelques ouvertures à la base pour contrôler la combustion lente et sans flamme. Pour allumer, on retire le mat central et on jette des braises. Des claies aidaient aussi à limiter l’effet des rafales de vent, pour éviter une explosion en cas d’embrasement. Il fallait huit jours de surveillance jours et nuits.

Au bout de dix jours, on écarte délicatement le fraisil et on retire le charbon, généralement la nuit pour apercevoir les braises. Les paniers servant au transport du charbon sont les rasses (100 litres) pour les particuliers et les vans (274 l) pour les forges. Le rendement était de 250 litres (soit 70 kgs) pour un mètre cube de bois, donnant un charbon brillant et dense.

Les charbonniers étaient sans doute les pauvres d’entre les pauvres. Ils ont comme patron Saint Thibaud (11e siècle) qui leur aurait rendu visite dans la forêt de Chaux en 1050. Ils créeront par la suite la confrérie des Bons Cousins Charbonniers, société de secours mutuel. Durant la seconde guerre mondiale, on eut recours à des véhicules à gazogènes utilisant du charbon de bois fabriqués dans des fours métalliques, comme les fours Magnein inventés en 1928.

Cf. Les Bons Cousins Charbonniers. Pierre Merlin. Ed. Folklore Comtois. 2005

Cf. La Racontotte. N° 73 (2005) et sq. Articles de Jean-Claude CHARNOZ

Cf. Bulletin de l’Association des villages de Chaux. N° 20 de 2004 & N° 21 de 2005

LES VOITURIERS DE MARINE

Le transport des bois, des forêts jusqu’aux rivières, comme par exemple les résineux des forêts de Levier qui passaient par Salins, s’opérait par voiturage à bœufs. Les grumes de sapins de la forêt de la Joux pouvaient atteindre 40 m de long. Sortir les lourdes grumes jusqu’au chemin carrossable s’appelle le débardage. Les voituriers n’étaient pas peu fiers de pouvoir se payer les restaurants avec l’argent gagné à chaque voyage, alors que les paysans n’avaient qu’une rentrée d’argent par an, au moment des récoltes.

Pour le transport des marchandises, il faut parler des GRANDVALLIERS (de Saint-Laurent en Grandvaux - Jura), sillonnant toutes les routes d’Europe. Leurs voitures étaient recouvertes d’une toile blanche et attelées d’un robuste cheval comtois.

LES RADELIERS

Une des causes de la conquête de la Franche-Comté par les rois de France au 17e siècle fut vraisemblablement la convoitise des forêts comtoises qui recouvraient 40% du territoire. Toujours est-il qu’après l’annexion par le traité de Nimègue en 1678, Colbert reprend les grandes orientations de Richelieu et fait recenser chênes et sapins pour reconstruire la Marine Royale. Pour un navire de 70 m de long sur 20 m de large et d’une durée de vie d’une quinzaine d’année, il fallait abattre 12 000 chênes. Les bois étaient transportés par voie fluviale comme depuis Cramans, Chamblay et Montbarrey sur la Loue. Les bois étaient assemblés en radeaux. Suivant les cours d’eau (Doubs, Saône, Rhône), ils arrivaient à Arles ou Beaucaire avant d’être transférés jusqu’aux arsenaux de Marseille et Toulon.

Au 19e siècle, l’industrialisation et l’urbanisation entraînent une augmentation considérable de la consommation de bois de chauffage et de charpente. Le flottage est alors à son apogée. A Chamblay, plus de 100 personnes confectionnent les radeaux et assurent la descente jusqu’à la Saône. C’est sur cette rivière que les trains de bois sont constitués et partent en grands convois pour Lyon et Beaucaire. En 1861, la Loue charrie 68 000 m3 de bois, soit 700 radeaux. Concurrencée par le chemin de fer, (ouverture de la ligne Dole-Salins en 1857), l’activité s’éteindra au début du 20e siècle, en 1901 sur la Loue et en 1920 sur la Saône.

Actuellement, la Confrérie Saint Nicolas des Radeliers de la Loue, fondée en 1995 par Robert Francioli, en garde la mémoire, reconstitue des descentes en radeaux et assure des relations vivantes avec les autres associations françaises et européennes et même canadiennes, soit une quinzaine de pays.

N.B. Le terme radelier était plutôt employé dans le midi. Sur la Loue on disait généralement flotteurs ou mariniers, car les bois étaient destinés à la Marine.

Si le flottage des bois par radeaux est le plus spectaculaire, il faut mentionner aussi le flottage des bois de chauffage par bûches perdues, récupérées à l’arrivée par des barrages.

Cf. La Racontotte. N° 62. Eté 2001. Article de Gilles Pétrement

Remarques conclusives

Cette liste des vieux métiers n’est évidemment pas exhaustive. Elle correspond à des métiers revisités et recréés dans le val d’amour (basse vallée de la Loue - Jura) durant les années 1980-2005 par les trois associations suivantes :

Les Radeliers de la Loue. 39380 Germigney -
Chez Robert Francioli 03 84 37 64 36. radelierdelaloue@aol.com

L’association des villages de la forêt de Chaux. 39380 La Vielle-Loye -
Chez Alain Goy 03 84 71 72 07. alain.goy@onf.fr

Les Alwati, Groupe Traditionnel Comtois.
Président : Henri Meunier
Contact : Claudine Lefort
22 rue du Canton d’Aval
25610 Arc et Senans
06 75 76 06 00
alwati39@gmail.com
www.alwati.com

Cf aussi

 Les travaux de Jean-Claude CHARNOZ. 1 rue des Ilétons. 39100 DOLE

 La revue trimestrielle régionale La Racontotte. 25210 Mont de Laval. 03 81 68 91 91

 Le film en vidéo K7 sur les savoir-faire traditionnels en Franche-Comté (métiers du bois, du cuir et du fer & les activités rurales) de Francis PEROZ, 12 allée du Parc boisé 90300 VALDOIE. 03 84 26 34 25. Francis.Peroz@wanadoo.fr

 Métiers oubliés. J & R Humbert. Edition du Chêne - Hachette Livre - France Livre Paris - 2003 - www.france-loisirs.com (50 métiers)

 DVD Mémoire de l’eau. Au fil du Doubs et de la Loue. 39700 Orchamps

 DVD par Bernard Bellevret. Mémoire du geste. Les petits métiers du Val d’Amour (Jura). 80 mn. Les Alwati. 2009

Les Alwati ont également publié quatre CD de musique et chants comtois dont le premier avec chants de métiers.

Henri MEUNIER. Les Alwati. 2009 - Google : alwati

Voir en ligne : les Alwati sur Internet