Le Maquis d’Ecot (3/4) Le maquis d’Écot
Le 29 juin, suite à ces arrestations, nous changeons de camp. Direction les taillis d’un petit bois entre la ferme de Montpouron et le hameau de Lucelans.
Le lieutenant m’appelle. Je dois aller au Rocher de Valentigney pour prendre livraison d’un triporteur, le ramener au camp. Je suis promu ravitailleur du camp. J’irai chercher les provisions à Etouvans tous les jours avec l’engin. Au Rocher, je retrouve avec plaisir quelques camarades de travail et, comme l’heure de la soupe sera passé au camp, je vais manger à la maison. Bon moment de détente mais départ rapide pour éviter les risques de barrages et essayer de passer pendant l’heure du repas. Dans Etouvans, je charge la nourriture. Le triporteur grimpe sans trop de peine la côte d’accès au camp.
Le 1er juillet, après le repas du soir, il paraît qu’il y a une expédition en vue avec le groupe Brand et quelques gars d’Etouvans.
« Il s’agit de faire sauter le pont du chemin de fer à Voujeaucourt ».
Le ‘plastic’ est préparé. La tiédeur des mains l’amollit. La préparation des explosifs doit être effectué avant le départ.
L’expédition doit être discrète et très rapide.
Un groupe part en éclaireur. Ils doivent emprunter deux échelles. L’explosif doit être placé sous le pont et de la route c’est haut. Nous nous relayons pour porter les sacs de plastic. Ce n’est pas léger.
Les hommes aux échelles nous ont rejoints. Le but est approche. Arrêt. Des éclats de voix ! Nous tombons sur deux gardes-voies. Par mesure de précaution, le lieutenant les fait taire et, dans leur intérêt, les fait ligoter avec les mains liées devant pour leur permettre de lever les bras si des Allemands venaient à les découvrir. Le poste d’aiguillage est neutralisé. Un homme armé reste dans la cabine. Le travail commence. Deux groupes surveillent les routes. Joly et Styc alignent les charges. L’explosif est mis en place assez rapidement. Le lieutenant écrase le crayon allumeur.
Dans ½ heure tout va sauter.
Après un bon quart d’heure, ça y est ; nous sursautons tous. Une lueur bleue a jailli, le fracas ébranle l’air. Des gens ont hurlé, réveillés par ce tonnerre, ils ont dû se croire bombardés. Chez nous, l’ambiance est gaie. Même le lieutenant Joly bavarde et plaisante. Au camp tout le monde est là. Une autre équipe a coupé les poteaux des lignes téléphoniques longeant la voie entre Voujeaucourt et Berche.
Belle nuit, beau travail, bons rires. Notre sommeil sera paisible.
Le 2 juillet, c’est dimanche et il fait beau. Nous profitons du calme reposant du sous-bois.
« Tiens, voilà le patron ! »
Joly s’assied comme nous sur le sol.
« Banet, vous avez déjà fait sauter quelque chose avec du plastic ? »
« Non mon lieutenant ! »
« Connaissez-vous le processus théorique de la mise en place de l’explosif ! »
« Oui, ça je sais mon lieutenant. »
« Eh ! bien je vous propose une petite expédition. Vous allez faire sauter un pylône supportant une ligne à haute tension qui alimente l’usine de Sochaux. Riquet vous accompagnera, il connaît déjà un peu le coin. »
« Ah ! oui en effet je vois. »
« Vous voyez là en lisière du bois, les deux lignes se croisent. Un énorme pylône soutient la plus élevée. En plaçant les charges en oblique, vous pourrez coucher le pylône sur la ligne inférieure et le poids brisera les câbles. C’est bien compris ! »
« Oui , oui mon lieutenant. Merci de nous avoir choisis. »
Les 12 boules de plastic sont vite préparées. Nous sommes une bonne équipe : Banet, Bonne, Dumonnet, Gabus, Dominique, Jacques et Freddy. Le passage de la route Voujeaucourt - Mathay va être délicat. Une dame avec sa fillette nous a vus et reste clouée par la surprise. Enfin voici le but. Un couple âgé nous a regardés passer depuis une maisonnette. Pourvu qu’ils ne disent rien. Encore une précaution, le pied du pylône peut être miné. Non, tout va bien.
Les boules de plastic sont soigneusement placées. Toutes les charges sont reliées par le cordon détonant. Banet rappelle les gars placés en protection. Attention : allumage ! Lui d’un côté, moi de l’autre, nous écrasons la partie supérieure du crayon et filons. Nous regagnons les fourrés et après avoir marché un moment, nous revenons à la lisière. D’ici nous voyons sans être vu. L’attente n’est pas longue. Une lueur bleutée, le fracas du tonnerre, le géant de fer s’incline doucement puis d’un seul coup s’abat sus les câbles du dessous, entraînant ceux qu’il portait , et déclenche un magnifique feu d’artifice. Spectacle splendide au crépuscule !
Le 3 juillet, convocation au P.C.Joly est déjà en plein travail
« Bonjour mon lieutenant ! »
« Bonjour Pierrot, bonjour Riquet. Pour le ravitaillement ce matin, vous allez faire le voyage ensemble. Des boches m’ont été signalés hier soir sur la route. Alors attention. Toi, Pierrot, tu vas servir d’éclaireur avec ton vélomoteur. Tu parcours quelques centaines de mètres et tu t’arrêtes. Quant Riquet arrive avec le triporteur, tu repars et ainsi de suite. Si tu aperçois quelque chose, tu te replies sur lui et à deux vous êtes plus capables de vous défendre. Compris ? »
« Bien mon lieutenant. »
« Allez-y ! »
A l’aller tout va bien. Notre progression par bonds s’effectue normalement. Au retour, même tactique, la manœuvre est plus lente, le chargement est très lourd pour mon engin. Encore 400 m de route et c’est le petit chemin du camp sous la garde vigilante du poste de F.M.
A l’instant même, j’entends une grosse moto. Deux casques brillants émergent. Mon cœur bat à grands coups. « C’est perdu ! » Et… tout s’achève dans un magistral salut accompagné de mon plus beau sourire : deux gendarmes de Pont-de-Roide viennent de me croiser en saluant. Je viens d’avoir une belle peur. Tout d’un coup, je me rends compte que ces deux gendarmes auraient dû m’arrêter, nous sommes des bandits dangereux, les maquisards, et ils doivent assurer l’ordre. Ils ne pouvaient pas avoir de doute : mitraillette au cou, brassard tricolore au bras. Allons ! les gendarmes sont avec nous. Enfin la France se retrouve. Cet incident peut paraître insignifiant mais ce salut cordial est un encouragement de prix. Ceux d’en bas sont avec nous.
Quelques minutes après, nous racontons au patron, en riant comme des fous, notre fin de voyage burlesque.
Le 4 juillet, voyage supplémentaire : il faut aller chercher des cerises à Etouvans. Il fait beau, je m’amuse à faire des embardées en zigzaguant sur la route. Voici Ecot.
Quoi ? Que veut-il ? M. Bonnet me fait de grands signes au bord de la route. Je ralentis. Il me barre la route et m’indique la porte de grange ouverte. Sans rien comprendre, j’entre.
« Qu’est-ce qu’il y a ? »
« Tais-toi » Il ferme la porte. « Les Allemands sont ici ! »
« Où donc ? »
« Au bout de la rue. Ils embarquent dans leur camionnette. Tu as eu chaud mon petit ! »
« Bien mon vieux, zut alors ! » Juste un coin d’une maison me cachait à leurs yeux.
« Tu peux bien rire maintenant, mais tu nous as fait une belle peur. J’ai cru que tu étais ’flambé’ ».
Je retourne au camp prévenir le lieutenant.
Cette persistance des Allemands à mettre le nez dans nos parages commence à m’inquiéter.
Le 5 juillet, que se passe-t-il ? Tout le monde tend l’oreille. Une rafale de F.M. Encore une. Cette fois c’est la bagarre. Les rafales rageuses se suivent plus ou moins longues. Il y a un accrochage. Qui ? Où ? Il faut une rapide reconnaissance. Désigné avec Jacques, je prépare mon « tri ». Jacques dans la caisse avec un F.M. prêt à tirer, nous voilà parti. Ecot est en vue. Rien ne s’est passé ici. Des volutes de fumée montent de la vallée devant nous. Le combat a dû se dérouler à Villars-sous-Ecot, une ou plusieurs maisons brûles.
Un homme pioche dans un champ. Arrêt.
« Que se passe-t-il en bas ? »
« Mes petits gars faites attention. Les Allemands sont à Villars. Il vient d’y avoir une bataille avec des maquisards et ils ont mis le feu à des maisons. Sauvez-vous. Ils peuvent déboucher dans votre dos d’une minute à l’autre ! »
« Merci bien ! »
Repli. Le retour est morne. Le rapport est vite fait : le groupe CUENOT (né le 14/03/1923 à Ste Suzanne, chef du Groupe Franc de Montbéliard) qui était allé à Villars à rencontré des Allemands, il y a eu combat. Des maisons brûlent.
Cette fois nous attendons tous le retour du groupe. Le silence est revenu depuis longtemps. Dans le sentier, un homme avance péniblement appuyé sur les épaules de deux camarades. Il est blanc et sa chemise entr’ouverte est rouge de sang. C’est Charlot Belorgey. Le malheureux était épuisé, il venait de parcourir, seul 10 km dans un état pareil. Ses compagnons l’étendent sur une couverture, il s’assoupit un instant. C’est le Dr Monath de Pont-de-Roide qui le soigne au camp. Le lendemain il sera évacué sur Pont-de-Roide Après ½ heure environ, le reste de la patrouille revient. La section était allée à Villars pour ramener des toiles de tente, des couvertures et des cartes d’Etat Major mises à la disposition du camp par un habitant du village. Près de la fontaine, une voiture allemande débouche sur la place. Coups de feu, dispersion des hommes entre les maisons, pendant que sous les ordres de Robert Cuenot, jeune séminariste, les hommes cernaient l’auto , deux camions de soldats arrivent et tentent d’encercler nos amis. Devant le nombre, seule issue : le repli.
Deux hommes manquent : Henriot et Cuenot. Henriot a été fait prisonnier quant à Cuenot, il a subi comme Henriot le matraquage de ces messieurs, son corps sera retrouvé dans un charnier du fort Hatry à Belfort.
Le 6 juillet attaque du Café des Chasseurs à Montbéliard où festoyaient officiers allemands et agents de la Gestapo, masculins et féminins . L’opération commandée par le sous-lieutenant Robert Brand n’a pas réussi.
Les consignes étaient d’attendre le signal de l’attaque par Siccione ( Service de renseignement du Cdt) qui devait tout d’abord saouler et désarmer ces messieurs. Tout ce beau monde devant servir d’otages de prix à notre disposition. Les hommes craignent un guet-apens et « oublient » la consigne. Ils tentent une entrée brutale, les Allemands ne sont pas désarmés. Le feu s’ouvre de part et d’autre . Catastrophe ! Les soldats de la caserne Pajol se précipitent et prennent part à l’action. Nous avons 4 tués et 2 blessés. Après cette opération, il fallait s’attendre à une attaque, nous étions chaque jour survolés par l’avion de reconnaissance ennemi.