Ecrits de contrebande

Racontottes de bricotiers

Dans le Haut-Doubs, les hivers sont longs et rigoureux et les dimanches, d’avant la télévision paraissaient interminables. Après la messe, dans des églises glaciales dont le seul mérite était de vous abriter du vent, mais que personne ne manquait, moins par foi que par utilité sociale. C’était en effet le seul endroit où tout le monde pouvait rencontrer tout le monde, le lieu où l’on s’échangeait les nouvelles, où les jeunes coqs du village lançaient leurs premières œillades à des jeunes filles effarouchées dont les joues rosissaient plus qu’avec le froid. C’est là que se concluait la vente d’une vache ou d’un lopin de terre, que l’on fixait la date des épousailles du petit dernier avec la fille du maire ou que se concluaient les contrats de sous-traitance de pièces d’horlogerie. Le curé était souvent pris comme témoin avant qu’il aille déjeuner à l’invitation de l’un de ses paroissiens.

Le respect du repos du dimanche interdisait toute activité et c’est tout juste si on s’autorisait à écrire au fiston en garnison à Toul ou à l’oncle producteur de cacao en Guinée. Les après-midi se trainaient en longueur jusqu’à la tombée du jour où l’on se réunissait entre voisins.

Pendant que les femmes préparaient la soupe à l’oignon, les reuchties et l’omelette au lard, commençait le temps des racontottes, ces petites histoires vraies ou fausses, allez savoir, dans lesquelles les anciens excellaient. Dos au feu qui couvait dans la cheminée, les enfants que nous étions, écoutions assis par terre, fascinés. Les histoires que nous préférions étaient celles de contrebande, celles où les braves bricotiers roulaient toujours les méchants douaniers. Car nous étions tous des bricotiers dans l’âme, sinon en fait. Évidemment d’un dimanche à l’autre, les mêmes racontottes pouvaient revenir mais chaque fois enrichies par l’imagination du conteur, chaque fois renouvelées par ses talents d’interprétation. Semblables et différentes tout à la fois, elles ne nous lassaient jamais, elles faisaient de personnes simples et ordinaires que nous ou nos parents avions connues, des personnages de roman ou des héros de légende. J’ai retranscrit ou inventé ces écrits de contrebande dans l’esprit de ces racontottes de mon enfance, mais chut ! En les lisant ou en les écoutant dans le silence, vous entendrez ressurgir les voix de Louise, de Hélène, de P’tit Claude, de Zénobie, de la Grande Suzon, de l’oncle Georges et de tant d’autres, toutes ces voix d’un passé qui ne s’est jamais éteint.