Maïs blanc de Bresse et semences anciennes

, par  les Alwati

Quand l’été nous traversons les campagnes, nous pouvons souvent contempler les champs de maïs. Mais avouons que nous nous demandons rarement d’où il vient. Y a-t-il différentes espèces ? Les anciens paysans cultivaient-ils le même qu’aujourd’hui ?
Le jour où en 2007, un lecteur de notre livre de « 80 recettes de gaudes » près de Louhans, nous demanda si nous connaissions le maïs blanc de Bresse, nous avons découvert que cette sorte de maïs, comme toutes les semences anciennes, était menacée de disparition, au point de mettre en péril l’avenir de l’alimentation de la planète.

Bref historique

L’histoire nous apprend que le maïs vient d’Amérique Centrale. Le plus vieil épi connu est daté de 7000 ans et mesurait 3 cm. Il était à la base de l’économie des Incas, Aztèques et autres Mayas. Avec Christophe Colomb, il débarque à Séville en Espagne en 1493. On le retrouve vers 1530 dans la région de Venise où il prend le nom de « blé de Turquie », puis il traverse l’Italie du Nord et la Savoie où il donne la polenta, à base de maïs non grillé. Loin d’être arrivé en Franche-Comté par Arinthod en 1640 comme on l’a cru longtemps, il suit l’actuelle nationale 83. On le repère à Flacey-en-Bresse (71) près de Vercia (39) en 1611, à Louhans en 1625, à Arbois en 1639 et à Dole en 1640. Le maïs blanc de Bresse est donc une variété ancienne, jaune très clair. En choisissant les plus beaux épis, les paysans bressans continuèrent la sélection, année après année, pour en faire une plante bien adaptée à leur sol et sans arrosage. Ce maïs spécifique permit les fameuses gaudes à base de maïs grillé et fit la renommée des poulets de Bresse.

C’est ainsi que des centaines de générations de paysans à travers le monde ont sélectionné les plantes nutritionnelles ou médicinales, capables de s’adapter aux milliers de terroirs différents tout en développant leur diversité et leur variabilité. Les caractères de variabilité d’une plante sont issus de ses gènes sauvages. Ils permettent l’évolution selon les climats et les terrains.

Les hybrides

Les premiers maïs hybrides sont américains avant même les années 1920. Ils arrivent en France en 1948. Les premiers hybrides français sont de 1957. Mais leur rendement insuffisant laissera la place aux américains.

Comment créer un hybride ? Le sélectionneur cherche deux populations A et B, présentant chacune un intérêt, pour les réunir dans une nouvelle variété AB de première génération, dite F1 (1° fécondation). Cet hybride est très vigoureux, mais parfaitement instable. Si l’agriculteur le ressemait, l’hybride perdrait ses avantages de productivité et d’homogénéité. Il faut donc racheter la semence chaque année.

Les maïs blanc dans le monde

Un lecteur bien informé pourrait objecter qu’on cultive du maïs blanc partout dans le monde. Pourquoi se préoccuper de celui de Bresse ? La réponse est que le maïs blanc dont on parle est une variété non hybride… en voie de disparition.

La production mondiale du maïs blanc représente 13% de la production totales des maïs. La France en cultive 3000 ha en particulier pour le gavage des palmipèdes du Gers ou d’Aquitaine et les poulets de Bresse, sans oublier l’amidonnerie et la pharmaco-cosmétologie. Tous les maïs blancs ne sont donc pas non hybrides, et tous les maïs jaunes ne sont pas hybrides. Car autrefois, le maïs dit « d’Auxonne » était jaune.

Avantages et inconvénients

Les avantages des hybrides sont nombreux. Ils germent plus vite et se développent avec plus de vigueur, même en condition difficile de température, mais à condition de trouver dans le sol ce dont ils ont besoin. D’où la nécessité de l’irrigation et des engrais. En outre, l’homogénéité de la maturation et des dimensions facilite la mécanisation de la récolte. Quantitativement tout va bien ; la croissance est comme dopée. Mais la situation se renverse quand on arrive à la phase qualitative de maturation qui a besoin de lumière et de chaleur pour la lente transformation des substances simples du sol, en substances complexes des fruits et des graines. C’est cela qui donne la texture, l’arôme et la saveur, c’est à dire la valeur gustative. On a remarqué que les senteurs des champs hybrides et non hybrides n’étaient pas les mêmes et que les oiseaux s’en prenaient d’abord aux non hybrides, comme s’ils choisissaient le meilleur ! Dans l’hybride, l’avantage de la croissance se réalise au détriment de la maturation. On obtient des produits en quelque sorte immatures, avec une plus grande teneur en eau, moins de consistance, moins de sucres lents, une moins bonne conservation, un goût à peine plus sucré mais moins savoureux. Ce n’est pas la plante qui s’adapte à la terre, c’est la terre qu’il faut adapter à la plante à coup d’engrais, d’insecticides et d’irrigation !

Maïs blanc de Bresse (récolté à La Loye l’été 2008) à coté d’un jaune
normal hybride.
Comme le mètre l’indique, il dépasse les 30 cm !
Photo de
Jean-Pierre PERREAU.

Les semences anciennes

Si le maïs blanc de Bresse est retrouvé, impossible de le replanter librement parce qu’il n’est pas inscrit au catalogue officiel des espèces. Pour qu’il le soit, il faudrait pouvoir certifier la Distinction, l’Homogénéité et la Stabilité (DHS) de l’espèce. Or, notre maïs blanc manque d’homogénéité. Pas question que l’acheteur récolte une variété non conforme à son achat ! Et pas question non plus d’en vendre : l’association Kokopelli en 2008 a été condamnée à 35000 € ! Et voilà comment est remis en cause le droit séculaire des paysans à ressemer le grain récolté et à échanger les semences. Jusqu’au 20ème siècle, elles n’étaient pas une marchandise. On les améliorait et échangeait pour contrebalancer l’inévitable érosion génétique de tout vivant. Le renouvellement régulier de la biodiversité est la condition de l’existence de l’agriculture. Mais un lobbying de firmes multinationales dont Montsanto a accaparé le travail de sélection au prétexte d’assurer des plants de qualité, d’accroître la production et de mieux nourrir les populations. En fait, elles contrôlent le marché par les brevets et le développement des hybrides. Et comme il est impossible de mettre en vente des milliers de variétés adaptées aux milliers de terroirs, les semences paysannes disparaissent.

Un désastre annoncé

C’est ainsi que les systèmes agraires se simplifient. L’approvisionnement de la planète dépend actuellement d’une vingtaine de plantes. Les monocultures conduisent à une raréfaction de la diversité. L’autosubsistance alimentaire est menacée. Les futures famines s’annoncent. D’innombrables espèces sont en train de disparaître après avoir servi l’humanité pendant des millénaires. Les variétés de maïs et de blé cultivées par l’agriculture industrielle se comptent aujourd’hui sur les doigts. 80% des espèces végétales dans le monde sont menacées d’érosion génétique. La Chine n’a plus que 1000 variétés de blé sur 10 000. Les Etats-Unis ont perdu en un siècle 90% des variétés de maïs, de pois et de tomates. En France, 80% des légumes cultivés il y a 50 ans ont disparu. Or, avec des plantes de plus en plus spécialisées et incapables de s’adapter, l’humanité a grand intérêt à conserver les vieilles variétés pour puiser à tout moment dans l’ancien matériel génétique et ainsi renouveler les variétés. Quelles seront les plantes capables de s’adapter au changement climatique qui s’annonce ? On a bien inventé des banques de gènes, mais qui les contrôle ?

Semer l’avenir

La biodiversité est l’aboutissement de centaines de millions d’années d’évolution. Comment laisser perdre un tel trésor, base même de notre alimentation future ? A travers le monde, des paysans se regroupent pour conserver leurs variétés traditionnelles. Nous avons des exemples au Bengladesh, en Inde, au Mali, en Tunisie. En Europe, des initiatives sont lancées pour conserver d’anciennes variétés régionales, comme avec « Arche-Noah », Kokopelli ou « Réseau-Semences-Paysannes ». Des rencontres internationales ont lieu pour mieux organiser les sélections et les échanges. Chercheurs et paysans s’associent pour donner des récoltes magnifiques. Sans attendre que la politique mondiale change, des initiatives concrètes peuvent déjà se prendre pour permettre à beaucoup de conserver des variétés menacées. Des paysans, des jardiniers, des amateurs se lancent dans cette opération. Il suffit de mettre à leur disposition quelques grammes de semences pour semer un ou deux m². C’est ce qui a été lancé en 2005 dans la région de Louhans et de Cuiseaux (71). C’est ce qui se continue depuis deux ans en Franche-Comté pour sauver cet ancien maïs blanc.

En Franche-Comté

Dès que les Alwati reçurent en 2007 quelques grains de maïs blanc en provenance de Saint-Usuge près de Louhans par Gilbert Froidevaux, ils les distribuèrent pour une première récolte. Et on recommença en 2008 multipliant la récolte. Le musée de Nancray en planta même 120 pieds.
Les résultats sont variables. Dans les terrains non fumés : aucun épi. Mais ailleurs les tiges peuvent parfois dépasser 2m50 et les épis atteindre 30cm parfaitement formés, tandis que d’autres sont plus rabougris avec des grains épars. Ce manque d’homogénéité peut sans doute s’améliorer par sélection des plus beaux épis. Le but est d’arriver à reconstituer des stocks qui permettront de cultiver à nouveau des champs entiers pour retrouver les gaudes et le poulet d’autrefois.

Pot de terre contre pot de fer

Entre temps, pour mieux défendre ce patrimoine en péril, la revue comtoise d’écologie rurale La Racontotte (N° 82 - Mars 2008) publia mon article de huit pages. L’article que vous lisez actuellement en est le résumé. Le Jurassien Raoul Jacquin, aujourd’hui conseiller juridique et porte-parole de l’association Kokopelli, apporta sa compétence. Les parlementaires jurassiens à qui cette Racontotte fut offerte, en tirèrent très rapidement une question écrite au ministre de l’agriculture. Car pour permettre la vente de ce maïs meilleur au goût et sans besoin d’irrigation, il faut changer la loi et trouver un accord au niveau de l’Europe. Nous attendons la suite avec impatience. Mais c’est le pot de terre contre le pot de fer !

Brèves

 Si on arrive à réunir 100 kg de ce maïs blanc, le moulin Taron de Chaussin nous les torréfiera pour refaire des gaudes à l’ancienne.
 Le 31 octobre 2008, dans l’émission « Ca manque pas d’air » de France 3 Bourgogne / Franche-Comté, j’ai présenté ce maïs blanc.
 Article dans La Racontotte n° 82 - Mars 2008 - 25210 Mont de Laval.
 80 Recettes de gaudes. 112 pages. Chez Les Alwati - 39380 La Loye.

Pour les graines, s’adresser à :
Harmonie - Environnement - Progrès.
Château des Princes d’Orange
71480 CUISEAUX

Henri MEUNIER (Les Alwati)