Le Maquis d’Ecot (2/4) L’installation du Maquis, les premières actions

, par  Marc

Le P.C. du Commandant Joly s’installe à Etouvans, son adjoint le Capitaine HUGUENIN (Hubert) prend le commandement du maquis jusqu’à son arrivée quelques jours plus tard. Le maquis s’installe au bois de La Cabiotte, à proximité des fermes de Lucelans , situé sur la commune de Villars-sous-Ecot, village qui, en septembre 1944 payera un lourd impôt du sang puisque 16 hommes et jeunes gens étaient fusillés le même jour au lieu-dit « Les Grands Jardins » à Montbéliard.

L’effectif du maquis est de 180 hommes mais, par manque d’armement nous sommes dans l’obligation d’en renvoyer une partie. Il restera 120 hommes mais pas assez d’armement correct pour tous. André, le radio réclamera à Londres l’armement indispensable, hélas rien ne nous parviendra pendant cette période. Malgré les abris précaires qu’ils ont construits, malgré la pluie qui ne cesse de tomber, le découragement n’a pas prise sur ces hommes héroïques.

Le 7 juin, deux agents de liaison rentrent vers Etouvans . Ici, c’est l’effervescence et pourtant, dans le Pays de Montbéliard les hommes ne semblent pas sensibles à cet espoir fou qui nous soulève. La Libération de la France a commencé la nuit dernière et le remous que nous escomptions à l’annonce du « débarquement » dans la population est bien faible. Nous ne serons donc qu’une poignée à engager le combat.

Il est question d’aller faire sauter cette nuit la voie ferrée. Une équipe gardera le village, une autre partira avec le Commandant Joly faire sauter la voie, puis lancer locomotive et wagons sur la coupure pour provoquer un embouteillage. Une armée secrète est en marche. Partout en France, des hommes vont au combat, la gorge un peu serrée, mais le cœur plein d’une ardente et folle envie d’abattre l’envahisseur. Nous ne pouvons agir qu’avec un convoi de marchandises. Avec des voyageurs, le risque est d’avoir un train de permissionnaires allemands. Nous sommes une trentaine, le combat serait un suicide.

L’oreille collée au rail, j’écoute de toutes mes forces (Henri EUVRARD alias Riquet né le 11/10/1922 à Audincourt, jeune instituteur, recherché par les Allemands. Il était agent de liaison du Cdt Fouillette puis du Cdt Joly décédé le 9/01/1972) La nuit est silencieuse, soudain vers l’Isle-sur-le-Doubs, une lueur fugitive mais intense éclaire le ciel et une détonation sourde s’enfle et retombe dans un grondement d’orage. C’est le travail de Tito (autre équipe commandée par le lieutenant BOURLIER de Blussangeaux dit Tito).
Joly leur murmure : « Le pont de Rang vient de sauter »
« Mais…le train ? »
« Il peut en venir un de Belfort ! »
Nous allions reprendre position quand, vers Héricourt, le ciel s’éclaire à nouveau et le tonnerre de l’explosion roule jusqu’à nous. Le pont de Bavilliers ! Les gars sont un peu déçus mais l’écho des deux explosions réjoui les cœurs.

Le 8 juin, dans la matinée une mauvaise nouvelle est arrivée au P.C. Le maquis qui devait s’organiser à Blamont est en déconfiture.

Le 9 juin, alerte au P.C. Il paraît que les « boches »vont venir cerner le village. Tous les hommes sont derrière les buissons des lisières pour surveiller les alentours. Chacun s’extasie sur ces mitraillettes et ces fusils tombés du ciel les mois précédents. Soudain, au loin, un grondement de moteur. Le bruit s’amplifie.
« Un avion ! Tous sous le couvert ! »
Dans un vrombissement de tonnerre, l’appareil passe, s’éloigne, tourne, revient et fonce à nouveau.
« Est-ce qu’ils savent que nous sommes là et nous surveillent en avion ? »

Ce soir, le lieutenant a décidé de quitter définitivement le village. C’est une mesure de prudence. Dans l’après-midi la section d’Etouvans a choisi l’emplacement du futur ‘‘vrai maquis’’. C’est de nuit que s’effectue le déplacement, de plus sous la pluie. Des estafettes attendent le gros de la troupe (environ 150 hommes) pour les guider sous bois, dans la bonne direction. Malgré la pluie et le froid, l’inconfort, certains s’endorment. Tous se retrouveront malgré quelques aléas.

De faction à un point délicat, Riquet s’endort. On se sent heureux, c’est la sensation d’être enfin libre. « Si maman me voyait, elle me croirait perdu. (Il a 22 ans à ce moment) Elle pense sûrement que je suis couché sous deux bonnes couvertures et gardé par une troupe de ‘’terroristes’’ armés jusqu’aux dents. Heureusement que les mères n’ont pas pu voir leurs fils dans les maquis ! »

Cette nuit, la section d’Etouvans a coupé les lignes téléphoniques aériennes qui longent la voie ferrée. Ce matin, Joly a, de bonne heure donné ses ordres. Deux sections sont parties en reconnaissance. La pluie a cessé mais le temps reste frais. Depuis quelques jours, les « maquisards » s’énervaient dans l’inaction. Je part avec le lieutenant. « Viens avec moi (qu’il m’a dit) pour faire la liaison ; on ne sais jamais ».
Une trouée dans le feuillage nous permet de découvrir un bel horizon sur le Doubs. Joly inspecte le paysage avec ses jumelles. Soudain, sur notre gauche, une rafale sèche crépite. Encore… C’est assez loin mais net pourtant.
"C’est la troisième."
"D’où çà vient mon lieutenant ?"
"Du côté de l‘Isle. Ils ont eu un accrochage et ont tiré au F.M."
Aujourd’hui, les Allemands vont sentir passer le souffle de la révolte. Valentin sourit en lisant l’enthousiasme dans mes yeux.
« Je ne crois pas qu’il y ait eu riposte. Donc ce sont eux qui ont tiré. Allons demi-tour. Nous rentrons ! »
Il pleut.

Le camp tout entier est agité. Le premier accrochage d’un groupe libre. Puis : « Tiens là-bas, les voilà ! »
Au bout du chemin, Robert revient, c’est le héros de l’heure. (Robert BRAND, né le 28/09/1910 à Montbéliard, chef du Corps Franc de Bavans) Son agent de liaison Daniel KIEFFER (Le grand Kiff) était celui qui prenait le plus souvent contact avec tous les groupes. Pendant qu’il fait son rapport au chef, nous filons du côté des cuisines. Ils ont fait un prisonnier. Voir un Allemand prisonnier est une chose enivrante. Les hautains vainqueurs peuvent être battus. Là sur un tronc, complètement affolé, plié en deux, un soldat allemand est assis. Il tremble et sa frayeur nous est agréable. Mais il est blessé, il tient son coude gauche. Un gars de Robert explique. Ils ont attaqué une camionnette ! Quelques rafales de F.M., un occupant est tué, le deuxième, touché par une balle, tente de fuir. Il ne fut pas long à être arrêté. Croyant sa dernière heure venue, il s’est rendu en suppliant.

Quand tout le monde eut dévisagé le prisonnier, l’un des maquisards, "affreux bandits" comme les qualifiait Ph. Henriot , déclara : « Mais il grelotte, il doit avoir de la fièvre, c’est sa blessure qui le fait souffrir. Il faut lui donner un peu de café ! ». L’Allemand, retrouvant un peu de calme, but à petites gorgées un quart de café bien chaud et…sucré par une main généreuse. Peu après, le blessé recevait les premiers soins par l’infirmier. Mieux, dans la nuit, le Dr Monath de Pont-de-Roide, risquant sa vie, venait au maquis examiner le prisonnier et essayer d’extraire la balle. L’opération était impossible dans les conditions où nous nous trouvions. Les jours suivants, c’est sœur MARIE (Mademoiselle Marie ROUDILLON , en religion Sœur Marie, infirmière et sœur protestante), personnel sanitaire qualifié, qui assurait les soins ainsi que ceux des gars souffrants, avec la plus stricte égalité.

Juste quelques mots au sujet de Sœur Marie - Par son dévouement à la cause de la Résistance, a rendu d’énormes services, particulièrement le 8 juillet 1944, au cours de l’attaque allemande contre le maquis, elle n’a pas hésité à soigner les blessés sous le feu de l’ennemi, et, le 21 août a rejoint le Maquis du Lomont où elle a continué à accomplir sa mission d’une façon exemplaire.

La pluie pendant plusieurs jours va être notre principal souci. Les repas à chercher par des pentes glissantes, la tente qui perce, la paille de litière détrempée, et pourtant, nous avons tenu.

Le 21 juin, Polyte a pris le maquis vers Vandoncourt. C’est une information réconfortante.

Le 23 juin, le soleil est revenu hier. Je suis de garde au carrefour Ecot, Pont-de-Roide, Villars-sous-Ecot. C’est M. Paul qui vient nous prévenir que des troupes allemandes sont arrivées en gare de l’Isle-sur-le-Doubs avec camions et un armement plus approprié que le nôtre. Qu’ils ont l’intention de nous attaquer demain ou après-demain. La guérilla, les destructions se produisent chaque jour, l’ennemi furieux d’être sans cesse harcelé prépare une opération contre nous. Ce même jour, l’abbé Selb, vicaire à Montbéliard, nous en avertit.

« Nous devons nous sauver, notre armement est insuffisant. Il fera nuit sous peu et tout doit être terminé pendant qu’il y a encore un peu de clarté. Les lampes sont interdites. »
C’est Valentin qui a donné ses ordres avant de repartir pour Etouvans. Nous attendons son retour pour connaître le but de notre voyage. Défense de fumer, les cigarettes allumées sont visibles de très loin. Voici le lieutenant, debout, nous partons. Sans lumière, nous suivons celui qui nous précède. Halte ! Dans les Grands Bois et là le groupe de Brand nous rejoint. Leur prisonnier a donné un coup de main à ses gardiens. Couchés à la diable sur les cailloux du sentier ou appuyés aux tas de bois, les hommes ronflent un peu partout.

On me secoue. C’est le petit jour, gris et maussade. Maintenant il pleut. Nous repartons mais cette fois ce n’est plus long. Joly désigne les emplacements et les distances à observer. Nous nous installons à 3 km à proximité de la ferme de Montpouron.

Le 28 juin, l’ennemi attaque notre ancien camp. Environ 300 Allemands ont attaqué notre ancien maquis. Ils ont trouvé les vestiges du camp et mis le feu à la paille que nous avions laissée. La fumée montait entre les arbres. Ce même jour, 2 hommes d’Etouvans (Jeannot et Marquis) assurant notre ravitaillement sont arrêtés, conduits à l’Hôtel Bristol à Montbéliard, siège de la police. Ils seront internés à la caserne Friedrich à Belfort, puis à la Butte à Besançon et libérés le 3 septembre 1944 par leurs gardiens allemands avant l’arrivée des troupes alliées.