Le massacre d’Etobon

, par  Marc

Alors que les alliés sont sur le point de libérer la région, les nazis qui occupent encore le nord de la région répondent aux harcèlements des résistants par l’exécution sans jugement d’une quarantaine d’habitants d’Etobon, fusillés dans le village voisin de Chenebier.

Etobon est un village de Haute Saône de 260 habitants, situé au Nord du canton d’Héricourt, à 18 km au Sud-Est de Lure et à 17 km au Nord-Ouest de Belfort.

Etobon

La Résistance est plus active que jamais

Septembre 1944, les troupes alliées de libération franco-anglo-américaines ne recevant pas leur ravitaillement autant en munitions, qu’en essence pour pouvoir progresser en direction du Rhin, sont stoppées non loin d’Etobon, (elles avaient progressé beaucoup plus vite que prévu depuis le débarquement en Provence). Les troupes françaises venant de Villersexel et de Lure sont à l’arrêt à Frédéric-Fontaine (environ 3 km au Nord-Ouest) depuis le 15 septembre. Le front stable entre Ronchamp à l’Est et le Lomont à l’Ouest est environ à 8 km.

Le groupe de Résistance d’Etobon est mobilisé depuis le 6 septembre. Il a pour mission de surveiller la route Lure-Héricourt par où passent les convois allemands se dirigeant vers Belfort. D’autres groupes agissent dans les environs : celui de Magny-d’Anigon surveillent la RN 19 entre Lure et Belfort, ceux de Champey et d’Héricourt tiennent « les bois de Vaux » au Nord de Luze et Couthenans.
Tous ces groupes harcèlent les convois ennemis sur les routes menant à Belfort, les Résistants sont persuadés de l’arrivée imminente des armées libératrices.

Dès le 8 septembre, pratiquement tous les jours des accrochages ont lieu :
 Le 8, au matin, un Allemand est blessé à Etobon, s’enfuit et se fait prendre, épuisé, à Chenebier.
 Le 9, le groupe de Cherimont attaque une auto avec un officier supérieur (peut être un général). Lui et son escorte sont tués. Le même jour, Jules Tournier, chef dans le groupe d’Etobon, trouve la mort dans l’attaque d’un convoi allemand au lieu dit « Le Nid ». Un autre détachement d’Etobon arrête, à Belverne, un car chargé d’essence et, sans effusion de sang, fait trois captifs.
 Le 12, quatre Allemands venus réquisitionner les vélos à Etobon sont capturés. Avec des déserteurs russes, polonais, alsaciens, cela porte à onze les prisonniers gardés par les gendarmes de Champagney qui ont pris le maquis.
 Le 13, un side-car et une auto allemands hésitent sur la route à suivre en traversant le village. Malgré l’interdiction de tirer, un jeune patriote, trop nerveux, lâche un coup de fusil qui déchaîne une bagarre où trois Allemands, dont un lieutenant sont tués et un blessé. Les notre ont un mort et un blessé.
 Le 14, quatre Allemands réquisitionnent des chevaux dans Chenebier. Un habitant demande du secours aux résistants d’Etobon. Deux hommes se détachent sans prévenir leur chef ; ils tuent un Allemand le croyant seul, les trois autres, alertés, s’enfuient. Une troupe ennemie arrive de Frahier, rassemble la population de Chenebier devant le monument aux morts, ils mettent le feu à la ferme de Pierre Goux et abattent l’enfant Pillat (9 ans) d’une rafale de mitraillette parce qu’il courait chercher son grand-père absent.
 Les 17 et 18 des cavaliers cosaques patrouillent en forêt à la traque aux « Terroristes ». Le maquis de Cherimont attaqué doit se disperser. Celui d’Etobon s’éloigne vers Courmont.
 Le 24, les hommes du maquis d’Etobon, sur le point d’être cernés, se dispersent, rentrent chez eux et reprennent leur allure de braves cultivateurs. Ce même jour le baraquement des prisonniers est découvert. Gardiens et gardés prennent le large, malheureusement trois ou quatre s’évadent et rejoignent les troupes allemandes. Encore, ce dimanche 24, le commandement allemand fait réunir à la mairie d’Etobon tous les hommes âgés de 16 à 50 ans pour faire des terrassements aux abords de Belverne.
 Le lendemain 25, quatre hommes sont menés militairement au travail.
 Le 26, le travail se renouvela dans les mêmes conditions ; comme il pleut très fort, les hommes sont congédiés vers midi.

La riposte nazie

Le mercredi 27 septembre, nouvel appel à la mairie. Les hommes de 16 à 60 ans sont rassemblés dans la classe des garçons. Les issues sont gardées. Le village est bloqué par les cosaques. De nombreuses maisons sont fouillées. Quelques hommes cachés sont découverts et rejoignent le rassemblement.

Trois anciens prisonniers sont chargés de reconnaître les maquisards. Deux d’entre eux ne peuvent ou ne veulent reconnaître personne le troisième désigne un à un les hommes qu’il dit avoir vus. Des vrais F.F.I. n’ont pas été désignés, alors que des jeunes de seize ans et des hommes âgés n’ayant jamais tenu une arme sont déclarés « Terroristes ».

Le capitaine cosaque annonce que les hommes devront effectuer des travaux de défense à Héricourt. Un peu avant midi, le détachement, entouré de femmes et d’enfants en pleurs, se met en route pour Chenebier.
A Chenebier vers midi et demi, les hommes sont enfermés dans l’ancien atelier de couture au centre du village en face du temple. Juste à côté se trouve l’auberge tenue par Emmanuel Abry. Un camion venant de Belfort amène quelques officiers allemands et, croit-on, des hommes de la Gestapo.

L’après-midi est consacré, pense-t-on, à un simulacre d’interrogatoire. On ne sait ! Un peu avant 16 heures, 27 hommes vont être dirigés en charrettes vers Belfort. Les autres sont condamnés à mort. Pierre Marlier, pasteur d’Etobon est dans les rescapés. Avant de partir, il s’est traîné à genoux devant le capitaine, se disant le seul coupable, l’a supplié de faire grâce à ses paroissiens. Rien n’a fait fléchir l’officier.

Le temple de Chenebier
Les martyrs d’Etobon ont été fusillés le long du mur du temple.

Dix minutes environ après ce départ, les suppliciés sont dirigés par groupe de dix vers la façade du temple où deux bourreaux les abattent à coup de mitraillettes. Le premier groupe a dû se mettre à genoux faces aux tireurs. Le deuxième et le troisième à genoux, mais le dos tourné. Le quatrième, debout, face aux tireurs chantait « La Marseillaise ».

Les martyrs

les victimes d’Etobon

 BAUER Maurice 20 ans cultivateur
 BAUER René 25 ans cultivateur (son frère)
 BEAUMONT André 21 ans cultivateur
 BOULAY Roger 22 ans cultivateur
 CROISSANT Jean 22 ans charron
 GOUX Jean 21 ans cultivateur
 GOUX Julien 20 ans cultivateur
 GOUX Fernand 41 ans menuisier (marié 4 enfants mineurs)
 GOUX Gilbert 17 ans élève-maître
 GOUX Robert 35 ans cultivateur
 GUEMANN Christ 40 ans cultivateur
 GUEMANN Paul 32 ans cultivateur (son frère)
 LARGE André 18 ans cultivateur
 LAMBOLEY Raymond 25 ans cultivateur
 MIGNEREY René 44 ans cultivateur (marié 2 enfants mineurs)
 NARDIN Charles 54 ans menuisier (maire d’Etobon, marié 1 enfant mineur)
 NARDIN Charles 27 ans cultivateur
 NARDIN Jean 17 ans cultivateur
 NARDIN Pierre 20 ans cultivateur (son frère)
 PERRET Charles 24 ans cultivateur
 PERRET Georges 17 ans cultivateur
 PERRET Jean 20 ans cultivateur (son frère)
 PERRET Jacques 33 ans cultivateur (marié 1 enfant mineur)
 PERRET René 28 ans ouvrier d’usine
 PERRET Maurice 20 ans cultivateur (son frère)
 PERRET Paul 18 ans cultivateur (son autre frère)
 PERRET Pierre 35 ans ingénieur-chimiste (marié 2 enfants mineurs)
 POCHARD Alfred 58 ans ouvrier d’usine (marié 4 enfants)
 POCHARD Samuel 28 ans cultivateur (son fils)
 SCHOENENBERGER André 28 ans instituteur
 SURLEAU Georges 42 ans cultivateur (marié 2 enfants mineurs)
 VILLEQUEZ Pierre 35 ans ouvrier d’usine (marié 1 enfant mineur)

les morts étrangers à la commune

 BOUTEILLER Pierre gendarme
 MILLET gendarme
 ROLLIN Léon gendarme
 CROISSANT Henri cultivateur de Frédéric-Fontaine
 VOISIN de Frahier
 Albert X 16 ans, alsacien de Baldersheim près de Mulhouse
 DEMANGE Louis d’Echavanne (marié 5 enfants)
 GRASSET André

L’oppression continue

L’assassinat a eu lieu le mercredi 27 septembre. C’est seulement le samedi 30 que les habitants d’Etobon sont informés du drame les concernant. La terreur à Chenebier était telle que personne n’a osé, tant que les Cosaques étaient présents, se faire le messager de l’horreur. Madame Emmanuel Abry, qui avait vu mourir sous ses yeux deux neveux, monte à Etobon où règne, en un instant, la plus désespérante consternation.

Entre le 27 septembre et le 18 novembre, jour de la libération, toute la commune doit supporter l’insupportable : vols, rapines, spoliations, travaux forcés, violences, etc.

Le médecin-chef qui joue le rôle de major, applique à Etobon les ordonnances du Reich concernant la guerre totale. « Tout est permis à l’égard d’un village de ‘terroristes’ ». Les femmes, les enfants et les quelques vieux qui restent sont exploités. Une équipe récolte les pommes de terre mais la moitié doit être transportée pour les Allemands sur des voitures à bœufs à Belverne et à Chalonvillars, même sous la neige. Une autre équipe rassemble les dernières pommes et poires. Les tonneaux de fruits fermentés sont conduits à la Vieille-Verrière (commune de Courmont) pour y être distillés. Deux hommes du village doivent aller chaque jour distiller à six kilomètres. Le lait des quelques vaches restantes est transporté sur une charrette par deux hommes à Belverne pour les hommes du front. Les Allemands ont tout pris, les bovins, 24 bêtes puis 50, et le dernier jour, tout ce qui reste, les porcs, achetés ou volés, les outils, les voitures, les traîneaux, les matelas, les bouteilles, les bonbonnes, le foin, la paille et, dans les maisons abandonnées, les meubles et même les portes et les fenêtres.

Le retour des Cosaques sous les ordres du capitaine responsable du massacre, ce soudard brutal et ivrogne passent leur temps à terroriser. Il tolère de la part de ses mercenaires, les pillages les plus éhontés.

Il est impossible de tout citer. Signalons quand même, qu’Etobon est à 2 kilomètres du front et que les artilleries adverses échangent toute la journée, leurs projectiles par dessus le village. De nombreuses maisons sont abîmées, secouées, détruites.

Le supplice le plus odieux est de vivre au contact de ces montres en uniforme vert. Ils couchent dans leurs lits, accaparent les fourneaux, mangent sur leurs tables, dans leurs vaisselles, obligent les femmes à récurer leurs casseroles, à laver leurs linges, à recoudre leurs vêtements, puise sans vergogne dans les provisions, brûlent jour et nuit des morceaux de bois. Le soir, lorsque fiancées, veuves et mères pleurent leurs morts assassinés, eux chantent, boivent plaisantent et font de la musique. Toutes ont peine à comprendre que des humains soient capables de tant de bestialité. Elles demeurent atterrées, frappées de stupeur devant tant de cruauté, de grossièreté, de criminelle inconscience.

Etobon ne se relèvera pas, de longtemps, de la disparition de toute sa jeunesse.

Témoignages

M. Alphonse HENISSE, maire de Chenebier en 1944, à déclaré :
« Je n’ai pas assisté à l’exécution. Après le crime, j’ai dû réunir une douzaine d’homme du village pour creuser une fosse commune dans le cimetière, à côté du temple. Les victimes y ont été déposées sur de la paille, en trois rangées superposées. La troisième rangée n’est pas complète. Pendant l’inhumation, l’Italien qui avait fait office de bourreau était présent et ne cessa de manifester, par des chants et des sifflements, une joie satanique. Les jours qui ont suivi le drame et tant que les Allemands ont cantonné au village, ils ont interdit à toute personne l’entrée du cimetière et tout dépôt de fleurs. »

Mme Paul LODS, aubergiste à Chenebier, lors du crime, a dénoncé l’un des bourreaux :
« Le soldat de l’armée allemande qui a fait office de bourreau, le 27 septembre 1944, appartenait au groupe de cavalerie cosaque qui cantonnait au village. Cet homme logeait dans ma maison. Il a été volontaire et montrait une grande joie à participer à l’exécution. Nous avons eu entre les mains son livret militaire. C’est un sujet italien : Pietro Pilot, originaire de Sicile. Il est né le 29 juin 1924 ».

Les coupables présumés

Le colonel Volnat, commandant d’infanterie allemande sur le secteur Champey – Lomont – Frédéric-Fontaine. Il était l’ami de l’officier supérieur tué le 9 septembre. Il a exigé 40 victimes à titre de vengeance personnelle. Ces renseignements proviennent des dires de soldats allemands cantonnés à Etobon et recueillis par M. Jules Perret, adjoint au maire. Aucun des fusillés n’avait participé à l’attaque où périt le général.

L’organisation du massacre était parfaitement réglée de sang-froid. La preuve est que le groupe de policier de la Gestapo s’est trouvé à l’heure exacte à Chenebier.

Le capitaine Bachmaier. Il n’est pas certain que Bachmaier soit le nom du capitaine assassin, mais une pancarte placée en face de son cantonnement portait cette dénomination. Il commandait l’escadron de Cosaques qui procéda le 27 septembre au bouclage du village, aux perquisitions, à l’arrestation des 67 citoyens d’Etobon, les conduisit à Chenebier et fit exécuter les 40 victimes. Il serait, a-t-il déclaré, instituteur et aurait vengé la mort de sa mère, victime d’un bombardement par avions.

Le soldat du détachement cosaque (peut-être caporal ou sous-officier) Pietro Pilot, il a offert volontairement ses services comme bourreau dans l’exécution du 27 septembre. Il y a manifesté une joie diabolique avant et après le massacre.

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Le souvenir du drame est encore bien présent sur les deux communes :

La Place des Fusillés, à Chenebier
L’Allée du souvenir, à Etobon

Merci à Jean Riche auteur de « LA FRANCHE-COMTE SOUS L’OCCUPATION ALLEMANDE ET SA LIBERATION » en deux volumes, « CEUX D’ETOBON » et « ETOBON, VILLAGE DE TERRORISTES », d’où est issue la plus grande partie de ce texte, ainsi qu’à un résistant anonyme qui nous à procuré ces livres avec quelques annotations personnelles.

Pour la petite histoire, Alphonse HENISSE, le maire de Chenebier à cette triste époque, était l’arrière grand-père de Mitch.

Et pour les cisteurs, le même Mitch a caché une série de 4 cistes (n° 52312, 52314, 52315 et 52316) dans des lieux en rapport avec cette histoire.