Le Temple Saint-Martin, à Montbéliard (25) La plus ancienne église luthérienne de France

, par  Mitch

Construit au tout début du XVIIème siècle sous la direction de Heinrich Schickhardt, le temple Saint Martin est un symbole du particularisme de Montbéliard.
Il est également un magnifique témoin d’une époque faste pour la Cité des Princes.

Le Temple Saint-Martin est classé Monument historique depuis le 1er avril 1963. Il est la dernière église luthrienne de France.
Le grand buffet de l’orgue est lui aussi classé.

En l’an de grâce 1604

La statue de Georges Cuvier semble veiller sur le temple.

Depuis 1581, nous sommes sous le règne de Frédéric 1er, prince de Wurtemberg. Ce dernier avait imposé le luthéranisme comme religion d’Etat.

Vers la fin du XVIème siècle, il accueille à Montbéliard les huguenots persécutés en France. Il sont 1200 réfugiés en 1590, et la ville doit s’agrandir : c’est la naissance de la Neuville, créée sous la direction de Heinrich Schickhardt.

On raconte également que le Prince Frédéric, au retour d’un de ses nombreux voyages, essuya une tempête entre l’Angleterre et la France. De retour sain et sauf, il aurait fait le voeu de construire sept églises à la gloire de Dieu.

C’est ainsi qu’il décide de faire construire une église, afin
 d’affirmer un peu plus son autorité religieuse ;
 d’offrir un lieu de culte aux nombreux protestants de Montbéliard ;
 de respecter son voeu.

La construction

L’actuel quartier de Montbéliard où se situe le temple était déjà un centre urbain et commercial important. Une petite chapelle Saint-Martin avait été remplacée par une église en pierre au XVème siècle, elle-même sera rasée pour permettre la construction de l’actuel temple, qui en gardera néanmoins le nom.

La première pierre sera posée le 5 mars 1601. Des pièces (le Prince frappe sa propre monnaie) y sont scellées, ainsi qu’une plaque en hommage au Prince où on pouvait lire ceci :

L’AN DE SALUT 1601, LE 3 DES NONES DE MARS,

SOUS LE REGNE DE L’EMPEREUR RODOLPHE II

cette première pierre fut posée

que, par la grâce de Dieu, le très illustre Prince et Seigneur Frédéric,

duc de Wurtemberg et Teck, comte de Montbéliard,

par sa pieuse libéralité, en remplacement d’un ancien et plus petit,

a voulu faire neuf et vaste.

C’est l’ouvrage du très illustre architecte

Heinrich Schickhardt de Herrenberg.

_ QUE LE DIEU TRES GRAND ET TRES BON FASSE QUE CE LIEU

SERVE A LA LOUANGE ET A LA GLOIRE DE CHRIST

ET A L’EDIFICATION DE SON EGLISE

DEUS OPT. MAX. AMEN.

Il faudra 4 ans pour finir le gros oeuvre.
 Les ouvriers travaillent en équipes mixtes : un allemand et un français. C’est la volonté du Prince Frédéric.
 Les murs de fondation mesurent 106m au total, avec une largeur qui va de 2m31 à 2m80.
 La nef mesure 40m de long pour 20m de large, respectant le concept vitruvien.
 Les murs sont constitués de 21223 pierres calcaires taillées, provenant de Vandoncourt.
 Les portails et les bases des pilastres sont en grès rose issu des carrières de Chagey et de Champey.
 Les encadrements des fenêtres sont en grès gris tiré d’une autre carrière de Chagey.

Fasciné par la Renaissance italienne, Schickhardt s’inspire du style toscan pour le décor extérieur.

Si la charpente sera montée en à peine 3 semaines (entre le 4 et le 22 août 1604), il faudra près d’un an pour couvrir l’église, notamment à cause d’un hiver particulièrement rigoureux.

Le portail sud est décoré de cette dédicace (en latin) :

Le très illustre prince Frédéric, duc de Wurtemberg et de Teck, comte de Montbéliard, a élevé par son pieux zèle ce temple nouveau consacré à Dieu très bon et très grand.

MDCIIII

Oeuvre de l’architecte d’Herrenberg Heinrich Schickhardt

1604

Juste en-dessous de ce texte figure un petit symbole gravé dans la pierre : c’est la marque du sculpteur Pierre Aigner, qui est la seule visible sur tout le bâtiment.

Les finitions ne seront jamais achevées

Les décors étaient particulièrement riches :
 les plafonds étaent entièrement peints ;
 toutes les poutres étaient dorées à l’or fin ;
 la chaire, placée au centre (en face de l’actuelle entrée) était elle aussi dorée ;

Néanmoins, le temple ne sera jamais complètement achevé : la décoration intérieure de l’église, celle des frontons de la façade, ainsi que le beffroi prévu par Schickhardt ne verront pas le jour.
Il y a plusieurs hypothèse pour expliquer cette interruption des travaux :
des problèmes financiers, le décès de Frédéric en 1608 (ses héritiers, plus modestes et moins attachés à Montbéliard abandonnant tout projet somptuaire pour Montbéliard), ainsi que les difficultés politiques, économiques et sociales de l’époque.

La charpente

L’une des particularités architecturales du Temple Saint-Martin est son plafond entièrement suspendu, à 11m de haut.

Les pièces maîtresses de la charpente son 500 pièces de chêne, provenant de la région de Stuttgart, et mesurant entre 7m95 et 14m45.
Les pièces de sapin proviennent elles de Porrentruy.

Des lucarnes seront ajoutées en 1615, afin que cet immense espace puisse servir de grenier à grain, en complément des Halles.

Le tout est couvert par pas moins de 59456 tuiles, provenant des tuileries de Montbéliard et Héricourt.
La couverture est dirigée par Guillaume Boige, couvreur de Valentigney. Celui-ci demandera aux enfants, lorsqu’ils n’avaient pas école, de venir prêter main forte au chantier ; à l’issue, il offrira 1000 poires en retour.

Le clocher sera ajouté en 1677

C’est à cette époque que l’armée française entre dans Montbéliard, apportant avec elle son lot de destructions : la Citadelle, le Fort le Chat (qui se trouvait en face du château) et les remparts disparaissent.

De même, les églises devaient devenir catholiques ou être détruites. Les parroissiens s’engagent alors à construire un clocher afin de sonner la messe, sauvant ainsi leur église Saint-Martin de la destruction.
A ce moment, le clocher renferme 3 cloches qui proviennent du château. Désormais, il abrite celle de l’ancienne abbaye de Belchamp.

L’orgue

Il fut construit en 1755 par Jean-Louis Perny, père et fils, à qui l’on devait déjà l’orgue de l’église Saint-Mainboeuf (située à l’époque sur l’esplanade du Château).

En 1843, son état s’étant terriblement déterrioré, le Conseil de fabrique de Saint-Mainboeuf et de Saint-Martin décide de le faire remplacer.
Joseph Callinet, à qui cette tâche est confiée, en conserve malgré tout quelques éléments : le bourdon de grand orgue, le bourdon de flûte de pédale, et une partie du buffet.

Ce dernier élément, encore présent aujourd’hui, est classé depuis 1877.

Plusieurs rénovations

En 1837, les peintures des plafonds disparaissent (peut-être recouvertes ; les études qui seront menées lors d’une rénovation devraient nous le révéler).
De même, la chaire trop ostentatoire est d’abord recouverte d’un drap, puis refaite tout en bois en 1842.
Enfin, le médaillon central qui abritait autrefois les armes des Wurtemberg, représente aujourd’hui le Bon Berger, oeuvre d’un peintre inconnu du XVIIe siècle.
C’est la volonté de l’église protestante de mettre la Parole au coeur de son église, plutôt que l’image.

La nouvelle chaire ne porte plus de signes ostentatoires.
Les seules symboles qui subsistent sont une croix (représentant la foi), une femme (la charité) et une ancre (l’espérance).
Vous croyez que c’est du marbre ?
Eh bien non : tous les décors sont réalisés en bois, cet aspect marbre est "seulement" une imitation très réussie.
Le bon berger
Ce tableau a remplacé les armes de Frédéric 1er.
Sous la charpente
Cet immense espace servait autrefois de grenier à grain.
Une partie des jeux de l’orgue.