Les secrets du Haut-Doubs - Le Fort Catinat

, par  Demyn

Édifié à la fin du XIXe siècle, suite à la guerre franco-prussienne de 1870-71, le fort Catinat, dit également fort du Larmont supérieur, avait un rôle défensif majeur, associé aux forts de Joux et Mahler. Un rôle qu’il n’aura jamais franchement eu l’occasion de tester.

Un exemple typique des ouvrages Séré de Rivières

Un fort Séré de Rivières, du nom de son concepteur, est un ouvrage militaire construit sur des plans prédéterminés : les casernements, les salles de tirs... étant tous établis sur le même modèle de départ.
On retrouve un peu partout du Nord-Pas-de-Calais aux frontières italiennes ce type d’ouvrage, car c’est surtout suite à la défaite de 1870 que des crédits militaires faramineux furent débloqués afin de fortifier les frontières du Nord, de l’Est, et du Sud-Est.

Celui qui surplombe la ville de Pontarlier, le fort Catinat, répond donc à un projet qui vit le jour officiellement le 24 Juillet 1879, jour où le président de la République, Jules Grévy, décréta l’acquisition d’urgence des terrains nécessaires à la construction de la future place forte.

Sa construction durera 4 ans pleins (1880-1883). Ce n’est qu’en 1887 que le fort prendra le nom de Catinat, du nom du général Nicolas Catinat, réputé comme l’un des meilleurs généraux de Louis XIV, notamment par ses deux victoires (1690 et 1693) sur le duc de Savoie.

Comme vous pouvez le voir sur le plan ci-dessus, le fort est polygonal, à la forme d’un hexagone irrégulier, se situant à moins de 3km à vol d’oiseau de Pontarlier. Il possédait, chose plutôt exceptionnelle, deux postes de télégraphie optique, c’est-à-dire deux salles où un faisceau lumineux puissant pouvait communiquer en morse avec d’autres places fortes.
Les deux postes du Catinat étaient situées au Nord (pour communiquer avec le fort du Lomont) et au Sud (pour communiquer avec le fort Lucotte de Saint-Antoine).

Une des deux salles de télégraphie optique

Le plan montre aussi clairement l’emplacement des salles de tirs (toutes en haut du plan) : les 3 caponnières sur le front principal, et sur l’ouvrage étaient placés des canons tournés vers le même endroit, c’est-à-dire le Sud-Est.
L’objectif était clair : empêcher l’arrivée de l’ennemi par la Suisse, protéger la frontière en la verrouillant sous ses feux. C’est également pourquoi on trouve les casernements à l’arrière de la place afin que les hommes ne soient pas exposés directement à l’attaque ennemie.

La vie au fort Catinat

Dans le triptyque haut-doubiste composé du fort de Joux, du fort Mahler et du fort Catinat, ce dernier était le mieux doté en garnison puisqu’il bénéficiait de 500 hommes, alors que Joux en comptait 400 et Mahler 60. L’explication est simple : plus le fort est grand, plus il est doté en défense. Or, le Catinat a de loin la plus grande superficie des trois forts pré-cités.

Malheureusement, les conditions de vie dans ces fortifications restent toujours difficiles, surtout quand l’ouvrage où l’on se retrouve affecté est en montagne, souvent dans le brouillard et encore plus souvent dans l’humidité (il a déjà été relevé 98% d’hygrométrie dans certaines parties du Catinat).
Les maladies notamment pulmonaires (pneumonies...) n’étaient donc pas rares.

Les hommes logeaient dans des casernements qui donnaient sur la ville de Pontarlier (le côté où l’ennemi n’était pas supposé arriver).

Casernements de temps de paix

Mais si une attaque venait à éclater sur le fort, tout avait été conçu pour protéger les hommes et leur aménager des endroits de repos : les abris sous-roc, qui, comme leur nom l’indique, se trouvaient sous la roche qui avait été dynamitée à l’explosif lors de la construction de l’ouvrage.
Véritable labyrinthe souterrain, ces abris renfermaient des pièces pour dormir, mais aussi des magasins de poudre et de nourriture.

Pourquoi s’enterrer ainsi sous terre ?
Parce qu’à l’époque, les obus explosaient dès l’impact, et lorsque l’on était sous 8 mètres de roche, on ne pouvait pas du tout être atteint.
A signaler que Catinat est l’un des rares forts Séré de Rivières à avoir conservé les armatures métalliques des lits des abris sous-roc.

Chambre sous-roc, avec encore ses armatures métalliques

Au-dessus de la chambre sous-roc, une moulure rarissime

L’unique conflit du fort

Le Catinat bénéficiait d’un armement conséquent puisqu’en Avril 1914, on pouvait y compter 7 canons de 155mm (les plus gros de l’époque dont la portée des obus pouvait dépasser les 10km), 4 canons de 120mm, 4 canons de 95mm, 2 canons de 90mm, sans parler des mortiers et autres mitrailleuses. Autant dire que le fort était bel et bien armé dans le but de se battre, tant la crainte de voir arriver l’ennemi par la Suisse était grande.

Mais lors de la première guerre mondiale, le front n’est pas arrivé jusque dans le Haut-Doubs, les forts de la place de Pontarlier n’ayant eu aucun rôle majeur à jouer.

C’est lors de la seconde guerre mondiale que le Catinat entendit pour la première fois l’arrivée ennemie.
En effet, le 17 Juin 1940, les Allemands arrivent sur Pontarlier et bombardent les places fortes à 12h.
A 20h, le Catinat se rend.

Comment expliquer une telle débâcle ? Tout simplement parce que la Wehrmacht n’est pas arrivée par la Suisse, et rappelons que la quasi-totalité du fort avait été pensé afin de stopper une arrivée ennemie par la frontière helvète.
Le chef de bataillon qui commandait l’ouvrage à ce moment-là, Davouze, a décrit cette journée ainsi :

"À 16h30, toutes les lignes de liaison par téléphone et T.S.F. étaient coupées [...] vers 17h15, l’intensité du tir de l’artillerie [ennemie] diminuait alors que l’infanterie arrivait aux abords du fort [...] de 18h à 20h, le fort fut soumis à un violent tir d’infanterie, armes automatiques, grenades et engins."

Sur la droite, on voit un éboulement dû au bombardement allemand

Question logique : pourquoi les forts Mahler et de Joux ont pu résister 8 jours de temps à l’ennemi, contre 8 heures pour le Catinat ?
Parce que les deux autres places fortes bénéficiaient d’une géologie favorable avec une cluse naturelle obligeant l’ennemi à se rapprocher et à se découvrir pour attaquer ; tandis que dans le cas du Catinat, ce dernier fut construit sur une position plane au sommet du Larmont, et cette position était visible... depuis le centre-ville de Pontarlier, d’où les allemands avaient d’ailleurs débuté leurs tirs d’artillerie.

De nos jours, à l’instar du fort Mahler, le fort Catinat est totalement fermé aux visites, car il est d’une part non-sécurisé (les éboulements dûs aux bombardements et au temps n’ont pas été déblayés, ni les parois renforcées), et d’autre part une petite partie des lieux est louée à l’année à un professionnel en tant qu’entrepôt annexe.
C’est d’ailleurs pourquoi toute ouverture possible (ancienne aération, cheminée...) a été murée. Cela permet de préserver les lieux qui sont par endroits exceptionnellement conservés (en particulier les abris sous-roc) et d’éviter toute dégradation ou vandalisme.

Ces témoignages du patrimoine militaire sont devenus tellement rares que les préserver est un devoir.