Lettre d’Henri FERTET

, par  Marc

Alors que le Président Sarkozy demande à ce que la lettre de Guy Môquet, mort fusillé par les Allemands le 22 octobre 1941 à l’age de 17 ans dont le seul crime était d’être le fils d’un député communiste, soit lue dans toutes les écoles pour en garder le souvenir, j’aimerais vous rapporter celle d’un jeune Franc-Comtois de 16 ans, plusieurs fois décoré : Croix de la Libération, Médaille de la Résistance, Croix de Guerre.

Sur les 20 Francs-Comtois faits « Compagnons de la Libération » par le général De Gaulle, 2 sont d’origine du canton d’Hérimoncourt (25) : Henri FERTET et Marcel FINANCE (Forces Aériennes dans la Résistance extérieure).

Henri FERTET, né le 27 octobre 1926 à Seloncourt (25), fils d’instituteur, est lycéen à Besançon quand commence l’occupation. Entré dans la résistance en 1942, il participe à des séances d’instruction, de ramassage d’armes et à plusieurs actions contre les forces allemandes. Arrêté le 2 juillet 1943, il est condamné malgré son jeune âge, à être fusillé. Il tombe le 26 septembre 43 à la Citadelle, en chantant la Marseillaise, après avoir refusé d’être attaché et d’avoir les yeux bandés.

Cette lettre est présente dans "La Voix de la Résistance" (èd. Cèdre 1989) et elle sera copiée, diffusée et reprise
par de nombreux journaux clandestins.

A monsieur et Madame Fertet, à Velotte-Besançon

Chers Parents,

Ma lettre va vous causer une grande peine, mais je vous ai vus si pleins de courage que, je n’en doute pas, vous voudrez bien encore le garder, ne serait-ce que par amour pour moi.

Vous ne pouvez savoir ce que moralement j’ai souffert dans ma cellule, ce que j’ai souffert de ne plus vous voir, de ne plus sentir sur moi votre tendre sollicitude que de loin. Pendant ces 87 jours, votre amour m’a manqué plus que vos colis, et souvent je vous ai demandé de me pardonner le mal que je vous ai fait, tout le mal que je vous ai fait. Vous ne pouvez vous douter de ce que je vous aime aujourd’hui car, avant, je vous aimais plutôt par routine, mais maintenant je comprends tout ce que vous avez fait pour moi et je crois être arrivé à l’amour filial véritable, au vrai amour filial. Peut-être après la guerre, un camarade vous parlera-t-il de moi, de cet amour que je lui ai communiqué. J’espère qu’il ne faillira pas à cette mission désormais sacrée.

Remerciez toutes les personnes qui se sont intéressées à moi, et particulièrement nos plus proches parents et amis ; dites-leur ma confiance dans la France éternelle. Embrassez très fort mes grands-parents, oncles, tantes et cousins, Henriette. Donnez une bonne poignée de mains chez M.Duvernet ; dites un petit mot à chacun. Dites à M. le Curé que je pense particulièrement à lui et aux siens. Je remercie Monseigneur du grand honneur, qu’il m’a fait, honneur dont je crois, je me suis montré digne. Je salue aussi en tombant, mes camarades du lycée. A ce propos, Hennemann me doit un paquet de cigarettes, Jacquin mon livre sur les hommes préhistoriques. Rendez « le Comte de Monté-Cristo » à Emourgeons, 3 chemin Français, derrière la gare. Donnez à Maurice André, de la Maltournée, 40 grammes de tabac que je lui dois.

Je lègue ma petite bibliothèque à Pierre, mes livres de classe à mon petit papa, mes collections à ma chère petite maman – mais qu’elle se méfie de la hache préhistorique et du fourreau d’épée gaulois.

Je meurs pour ma Patrie. Je veux une France libre et des Français heureux. Non pas une France orgueilleuse, première nation du monde, mais une France travailleuse, laborieuse et honnête. Que les Français soient heureux, voilà l’essentiel. Dans la vie il faut savoir cueillir le bonheur.

Pour moi, ne vous faites pas de soucis. Je garde mon courage et ma belle humeur jusqu’au bout, et je chanterai « Sambre et Meuse » parce que c’est toi, ma chère petite maman qui me l’as apprise.

Les soldats viennent me chercher. Je hâte le pas. Mon écriture
est peut-être tremblée ; mais c’est parce que j’ai un petit crayon. Je n’ai pas peur de la mort ; j’ai la conscience tellement tranquille.

Papa, je t’en supplie, prie. Songe que je meurs, c’est pour mon bien. Quelle mort serait plus honorable pour moi que celle-là. Je meurs volontairement pour la Patrie. Nous nous retrouverons tous les quatre, bientôt au ciel. « Qu’est-ce que cent ans ? »

Maman, rappelle-toi :

« Et ces vengeurs auront de nouveaux défenseurs

Qui, après la mort, auront des successeurs. »

Adieu, la mort m’appelle. Je ne veux ni bandeau, ni être attaché. Je vous embrasse tous. C’est quand même dur de mourir.

Vive la France

Un condamné à mort de 16 ans

Excusez les fautes d’orthographe – pas le temps de relire

Expéditeur : Henri Fertet

Au ciel, près de Dieu.

Merci au Foyer Socio-Educatif du Collège des Quatre Terres d’Hérimoncourt (25), à tous ces jeunes qui de 1982 à 1987 ont fait leurs recherches pour nous donner ce livre : "Aux frontières de la Suisse, du Lomont à la Trouée de Belfort" d’où est extraite cette lettre.