La Résistance dans le Jura

, par  Marc

Le Général EISENHOWER avait rendu hommage aux Forces Française de l’Intérieur (FFI) dans ses « Mémoires de Guerre », pour avoir contraint les forces allemandes à immobiliser une quinzaine de divisions par leurs opérations militaires et la désorganisation de leurs transports. Ceci est particulièrement vrai pour le Doubs et le Jura-Nord.

Dans le Jura, si proche d’une frontière, la formation d’une « armée secrète » répondait aux aspirations de la population. Cette résistance commença dès 1942 par les publications clandestines. C’est début 1943 que se constituèrent les premières formations paramilitaires et que s’engagea une lutte sans cesse accrue jusqu’à la Libération.

La Franche-Comté était coupée en deux par la « ligne de démarcation ». C’est dans le département du Jura que cette « frontière » marquait la séparation entre la partie de la France annexée et la « Zone Libre ». Cette zone adossée à la Suisse, était devenue le lieu d’asile et de passage de tous ceux qui fuyaient les polices allemandes et même françaises, ils étaient certain d’y être recueillis, aidés pour passer vers la Suisse ou en zone libre et même secourus. C’est au début de 1943 qu’une organisation militaire se mit en place dans la Résistance. Ce maquis du Haut-Jura n’était rattaché à aucun parti politique, son seul but : combattre.

Géographiquement, sa zone d’action était délimitée ainsi : au Nord, Saint-Laurent-du-Jura, à l’Est la vallée de la Valserine, au Sud, les abords d’Oyonnax (la ville, quand à elle, fut le berceau du maquis de l’Ain) et la R.N. 84 (Lyon – Genève par Bellegarde) et à l’Ouest la rivière de l’Ain. C’est une région couverte de forêts à une altitude de plus ou moins 1000m. L’hiver y est rigoureux (l’hiver 43 – 44, il y faisait –35°) mais le climat est sain. Les habitants, et surtout ceux de la haute montagne, sont très hospitaliers, leur patriotisme est légendaire et leur dévouement n’eut pas d’égal.

Je crois qu’il faut revenir sur un aspect spécifique du Haut Jura. A Saint-Claude (commune de gauche destituée par Vichy) existait « La Fraternelle », coopérative de consommation, mais aussi association pour des activités sportives et culturelles. Celle-ci, issue d’un mouvement socialiste, dispose d’une vingtaine de succursales dans les environs dont les plus importantes sont à Lamoura et à Molinges. Egalement à Saint-Claude, sur les presses du « Jura Socialiste », fut imprimé le « Populaire » qui, après un passage par Lyon, était diffusé dans toute la France.

En 1940 les maquisards sont déjà plusieurs centaines mais, pour les encadrer, il n’y a que quelques sous-officiers. Ils se regroupent dans les chalets forestiers dans les environs de Lamoura et Prémanon. Les hommes sont venus pour repartir en guerre, ils n’ont entendu que des discours qui les dépassent. Beaucoup vont quitter le maquis mais d’autres hommes arriveront pour combattre. L’esprit des groupes a changé. Les hommes sont venus pour combattre. Dès 1941, les groupes de Résistance se rattachent au mouvement « Combat ». « La Fraternelle » fournit le ravitaillement prélevé sur ses stocks. Ce ne sera qu’après le 3 mars 1944 avec l’arrivée du Cdt Vallin que les troupes seront reprises en main, les camps sont reformés et des groupes mobiles sont constitués. Ceux-ci font du sabotage et de la chasse aux collaborateurs. Grâce à la configuration du terrain, les embuscades font merveilles.

Le Mouvement « Combat » promet, mais rien n’arrive ; ni cadres, ni argent, ni armes. Dans ces conditions, de nombreuses querelles entre les différents mouvements nationaux de Résistance s’installent. De tout cela, des responsables locaux garderont du ressentiment contre ce qui n’est pas haut-jurassien.

Une nouvelle période naît avec « l’Ecole des Cadres ». Elle devait former des chefs de maquis et former une unité de combat. Ce sera encore un échec à cause des théories d’un dirigeant quelque peu révolutionnaire, qui ne correspondait pas aux souhaits des hommes qui étaient venus là pour apprendre à se battre et rien d’autre. Celui-ci sera éliminé, la majorité des maquisards refusant de faire la politique qui avait causé la chute du pays en 1940.

L’attaque allemande du 18 décembre 1943 sur un maquis proche de l’Ecole des Cadres, entre Lamoura et Prémanon, relance la formule des petites unités. Elle fera 4 morts chez les maquisards, 2 parmi les habitants et 10 chalets seront incendiés. Le reste du maquis se cachera en Suisse. Les camps seront dispersés et reconstitués au sud de Saint-Claude.

L’administration de Vichy commence à collaborer avec la Résistance à partir de septembre 1943.
le commissaire de police de Saint-Claude vient voir Emain pour corriger une déposition maladroite d’un maquisard hospitalisé suite à des blessures (décembre 1943).
le procureur de l’Etat Français classe sans suite l’affaire du buraliste de Lamoura tué par accident au cours d’une réquisition des maquisards. C’est Emain qui l’avait menacé de mort s’il n’agissait pas ainsi.
le secrétaire en chef de la sous-préfecture de Saint-Claude renseigne la Résistance (de septembre 1943 à août 1944).
l’opinion publique évoluant pour la Résistance, le sous-préfet doit faire appel aux gendarmes de Vichy qui subissent de lourdes peines.
cette situation provoque l’envoi de troupes allemandes et celles-ci restent à Saint-Claude du 7 au 18 avril 1944.
les alliés ayant parachuté peu d’armes, lorsque les Allemands arrivent à Septmoncel pour des représailles sur les civiles, les maquisards n’ont que des fusils de chasse pour essayer de les arrêter.

Les Allemands arrêtent 444 personnes dont 307 à Saint-Claude. Ils incendient les succursales de la Fraternelle, détruisant le ravitaillement du maquis, et plus de 100 maisons. Pour les maquisards, il manque 25 hommes dont le chef de bataillon d’active Jean Duhai, dit « Cdt Vallin », âgé de 38 ans et qui s’est donné aux Allemands pour épargner le village de Viry qui l’avait hébergé (son attitude et sa dignité devant la mort devaient lui permettre de sauver le village entier du pillage et de l’incendie, et de faire libérer 20 otages déjà alignés face au mur). Mais pour le commandant Maurice Guèpe (dit « Chevassus »), l’adjoint et successeur désigné de Vallin, il aura perdu ses centres de ravitaillement ainsi que pas mal d’armement. Les Allemands auraient perdu 217 hommes.

Le véritable armement arrivera par les maquis de l’Ain et le ravitaillement par les paysans. D’ailleurs la complicité entre maquisards et paysans s’accroîtra encore après le débarquement. A partir de juillet 1944, le secteur est pratiquement libéré. Les Allemands se livrent à des représailles sur la population civile craignant d’attaquer le maquis. Fin août, le maquis se lance victorieusement à l’assaut du fort des Rousses et font plus d’une centaine de prisonniers.

Avant le 6 juin 1944, les locomotives des dépôts d’Ambérieu – Bellegarde et des gares de La Cluze, Saint-Claude et Morez sont détruites. Le jour du débarquement, c’est près de 200 locomotives qui sont hors d’usage.

Le 6 juin 1944, les maquisards ont refusé les ordres de faire sauter les ponts et de barrer les routes pour ne pas exposer encore la population à plus d’exactions de la part des troupes allemandes, elle en avait déjà assez souffert. Les communications sont entièrement contrôlées par la Résistance. L’ennemi veut reprendre le contrôle de la R.N. 84 et la défense de Bellegarde. Le maquis du Haut-Jura vient en aide à celui de l’Ain, cela lui coûtera dix morts.

Du 11 au 18 juillet 1944, une seconde grande offensive allemande les contraint à se réfugier dans les bois mais, dès la nuit du 14 au 15 août 1944, ils passent à l’offensive généralisée. Les plus durs combats ont lieu aux abords du fort des Rousses. Le secteur est définitivement libéré le 3 septembre avec la prise de Morez en coopération avec la Première Armée.

QUELQUES ANECDOTES SUR CETTE REGION

ORGANISATION

Pour la Résistance, la partie annexée du département était elle aussi coupée en deux :
d’un côté, le groupement Nord-Jura qui, avec le Doubs, la Haute Saône et le territoire de Belfort, formaient la Sous-Région D/2 (Colonel J. Maurin, jusqu’à son arrestation le 15 août 1944). Sous les ordres du Capitaine Robbe (dit Voirin), elle était divisé en quatre groupe : « Loue Lison » aux ordres du Commandant Berion, « Ain Sayne » du Capitaine Coulon, « Mont-Poupet » du Lieutenant Billet et « Val d’Amour » du lieutenant Couturier.
de l’autre, l’arrondissement de Dole.

L’effectif du maquis du Haut-Jura était de 198 hommes au 5 avril 1944, puis 332 le 5 juin et enfin 887 hommes à la Libération. Il avait perdu 44 volontaires plus 4 officiers : Jean Duhail (Vallin), chef du maquis, les lieutenants Schaeffer (Pauly), Hebrard (Garivier) et Perceval (Rémy).

LES CARTES D’ALIMENTATION

Pour se nourrir, il faut des subsistances et pour acquérir des subsistances, il faut posséder les tickets d’alimentation. Ce sont les secrétaires de mairies qui aidèrent la Résistance à ce sujet.
En septembre 1943, les sœurs Rathier et mademoiselle Raymond leur remirent cinq cents cartes d’alimentation en une seule fois.

LE FERMIER COLLABO

Des maquisards apprennent qu’un fermier collabore avec l’ennemi. Ils décident de lui prendre une vache. Ce qui fut fait mais ils se perdirent et repassèrent plusieurs fois autour de la ferme avant de prendre la direction du maquis.
Le lendemain, le fermier constatant la disparition de sa bête porte plainte auprès des gendarmes de Saint-Claude.
Les gendarmes, favorables à la Résistance, se rendent vite compte que l’animal est parti pour le maquis. Ces braves gens poursuivent leur enquête et découvrent, chez le fermier, un saloir contenant une bête abattue sans l’autorisation adéquate. Ils dressent un P.V. et de cette manière aident la Résistance.

LES TRANSPORTS

En décembre 1943, pour mieux camoufler le transport du ravitaillement pour le maquis, Jean, un jeune diamantaire, acheta un bœuf et son chariot.
Avec son attelage et en toute tranquillité, il achemine au maquis des Moussières des pommes de terres et des haricots, sans éveiller l’attention des occupants.
Les jeunes maquisards eurent droit aux pommes de terre, aux haricots, mais aussi à l’animal !

LES MILLIONS DE LA BANQUE DE FRANCE

Dans la région de Saint-Claude, les représailles allemandes ont détruit pour des centaines de personnes leur moyen de subsistance et souvent leur foyer. Les chef de la Résistance, avec l’accord du sous-préfet, demandèrent une aide à la banque de France. Dix-huit millions de francs de l’époque leur furent accordés.
Tout n’ayant pas été utilisé, l’argent restant fut remis à la trésorerie générale de Lons-le-Saunier, à la fin des hostilités
Cette affaire fit couler beaucoup de salive mais, après enquête, il fut établi qu’aucun résistant n’en avait profité.

LE RAPPORT ALLEMAND

« La route vers l’objectif fut contrarié par l’action efficiente des maquisards. Nous étions harcelés comme par un essaim de guêpes et il nous a été impossible de réaliser le plan du commandement. Les rares détachements qui atteignent leur but sont exténués et ont perdu leur valeur combattive ».

Les premières félicitations pour ces hommes viennent de l’ennemi. C’est vraiment la preuve qu’ils avaient été d’une grande efficacité.

HOMMAGE

Un officier supérieur ayant été maquisard dans le Haut-Jura faisait les commentaires suivant sur ses principes :

« Le maquis du Jura a été une formation d’importance modeste mais d’une certaine originalité, d’un désintéressement et de pureté indéniable. Tout y était partagé, l’argent y était inconnu, la camaraderie dans la pauvreté était fraternelle ; ni inflation des grades, ni gonflement des effectifs, pas d’attaques aventureuses, pas d’attentats aveugles ni d’agressions crapuleuses, son comportement vis-à-vis de la population lui a valu un soutien qui ne s’est jamais démenti. Le maquis du Haut-Jura, malgré des imperfections communes à toute la Résistance, demeure un exemple de ce qui peut être accompli grâce à une certaine éthique morale.
Hommage doit être rendu à ses chefs successifs ainsi qu’à ses premiers maquisards qui lui ont conféré, dans cette période trouble, ce label de qualité ».

(On m’a rapporté ce texte mais, je le regrette, je n’en connais pas l’auteur.)