Léon Deubel, poète maudit

, par  Karine
Buste de Léon Deubel, square Lechten - Belfort (90)

Ce Belfortain est né le 22 mars 1879. Ses parents vivaient Faubourg de France et tenaient une épicerie de luxe. Lors de leur séparation, il fut placé chez un oncle et poursuivit ses études à Baumes-les-Dames.

Il deviendra par la suite maître d’internat à Pontarlier et à Arbois. Après avoir été révoqué, il rejoindra Paris où il vivra dans la misère.

Mais c’est en Franche-Comté, en 1903 qu’il a rencontré le jeune Louis Pergaud. Ce dernier fraîchement marié, l’invita à s’installer chez lui à Durnes (25). Sa femme n’accepta pas la présence du poète et cela fut source de discorde au sein du couple. Néanmoins, Deubel aida Pergaud à publier son premier recueil de poésies "L’Aube" en 1904. Pergaud fut pris entre ses problèmes professionnels (séparation de l’Eglise et de l’Etat, il est instituteur) et ses problèmes maritaux. Il pensa se suicider mais en fut dissuadé par Deubel.

A Paris, Deubel vécut pauvrement dans une chambre sordide avec Pergaud qui quitta sa femme. Deubel refusa les propositions réitérées de ses parents de reprendre l’entreprise familiale.

Il s’inspira de Verlaine, Laforgue et des premiers expressionnistes allemands. Il composa essentiellement des sonnets et certains furent même mis en musique par son ami Varèse (ces oeuvres ont été détruites).

Pour autant, on le considère comme l’un des derniers poètes maudits parce qu’il est mort jeune et incompris. En effet, c’est au début du mois de juin 1913 qu’il se jeta dans la Marne à Maisons-Alfort après avoir détruit tous ses manuscrits.

Qu’est-ce qu’un "poète maudit" ?

L’expression est née sous la plume de Verlaine ( Les Poètes Maudits , 1888), mais elle date de la période romantique ( Stello , Alfred de Vigny,1832). Le poète, inadapté à la société, connait une fin tragique après avoir côtoyé les extrêmes et la folie.

Dans les faits, le poète maudit est incompris dans sa jeunesse, il rejette les valeurs de la société, se comporte de manière provocante, dangereuse, associale et use de produits illicites. Ses textes, difficiles d’accès, lui valent de mourir sans avoir été reconnu à sa juste valeur.

***

Détresse


Seigneur ! je suis sans pain, sans rêve et sans demeure.

Les hommes m’ont chassé parce que je suis nu,

Et ces frères en vous ne m’ont pas reconnu

Parce que je suis pâle et parce que je pleure.

Je les aime pourtant comme c’était écrit

Et j’ai connu par eux que la vie est amère,

Puisqu’il n’est pas de femme qui veuille être ma mère

Et qu’il n’est pas de cœur qui entende mes cris.

Je sens, autour de moi, que les bruits sont calmés,

Que les hommes sont las de leur fête éternelle.

Il est bien vrai qu’ils sont sourds à ceux qui appellent.

Seigneur ! pardonnez-moi s’ils ne m’ont pas aimé !

Seigneur ! j’étais sans rêve et voici que la lune

Ascende le ciel clair comme une route haute.

Je sens que son baiser m’est une pentecôte,

Et j’ai mené ma peine aux confins de sa dune.

Mais j’ai bien faim de pain, Seigneur ! et de baisers !

Un grand besoin d’amour me tourmente et m’obsède,

Et sur mon banc de pierre rude se succèdent

Les fantômes de Celles qui l’auraient apaisé.

Le vol de l’heure émigre en des infinis sombres,

Le ciel plane, un pas se lève dans le silence,

L’aube indique les fûts dans la forêt de l’ombre,

Et c’est la Vie, énorme encor qui recommence !

(1900, place du Carrousel, 3 heures du matin.)