La Cancoillotte

, par  Mitch, Thier

La cancoillotte est un fromage, mais pas un vulgaire fromage. C’est une spécialité incontournable de Franche-Comté présente sur toutes les tables de la région. Son histoire est étroitement liée à la Franche-Comté et à ses habitants : la cancoillotte appartient depuis des siècles à notre vie quotidienne et est une tradition populaire bien vivante. C’est pour ces raisons que nous avons choisi cet emblématique fromage pour nommer notre site, car la cancoillotte est une spécialité unique, que l’on ne trouve nulle part ailleurs qu’en Franche-Comté.

Des origines incertaines

Il existe plusieurs hypothèses quant à l’origine de la cancoillotte.

D’une manière générale, on fait remonter les origines des fromages aux années 5000 à 2000 avant J-C. Des sources littéraires datant de cette époque nous apprennent que la fabrication du fromage était parfaitement connue dans tous les territoires de l’Empire Romain.
Certains historiens pensent donc que la cancoillotte aurait vu le jour à l’époque gallo-romaine, qui aurait donc plus de 2 000 ans d’existence ! Et on peut imaginer qu’elle avait déjà sa place sur les tables séquanes. Le mot cancoillotte pourrait d’ailleurs provenir de l’expression latine "concoctum lactem", trouvée dans des écrits romains relatant la prise de la Séquanie (Territoire correspondant à celui de l’actuelle Franche-Comté) en 58 avant notre ère.

Mais c’est un peu plus tard, au cours de la période médiévale, qu’apparurent la plupart des variétés de fromages qui font encore aujourd’hui la réputation de la France : on peut citer le munster, le pont-l’évêque, le brie ou encore le maroille, qui connurent à cette époque leurs premieres heures de gloire.
C’est aussi au Moyen-Age que naquit le gruyère et peut-être la cancoillotte. On fixe le début du gruyère est attesté vers le XIIè ou XIIIè siècle. Pour la cancoillotte, son origine est moins précise.

De source moins scientifique, on peut également citer une vieille légende qu’on raconte encore sur les plateaux du Haut-Doubs :
"Dans une ferme comtoise, il y avait deux géants surnommés Cancoille et Yotus. Une bagarre éclate entre les deux hommes, et au cours de la bataille, le géant Yotus tombe sur le coin de la cheminée et renverse un pot de lait caillé, le récipient se vide alors dans le chaudron suspendu au-dessus du feu. Et, tout naturellement, le lait caillé a fondu, Cancoille étant vainqueur de la rixe, le fromage fondu se serait appelé cancoillotte."

Certains historiens attribuent à la cancoillotte des origines beaucoup plus récentes, puisqu’ils situent son apparition au XVIe siècle. Cette spécialité fromagère serait, à l’instar de la Tarte Tatin, née d’une erreur de fabrication. Le célèbre Nicolas de Granvelle, ministre de Charles Quint, séduit par cette recette, l’aurait introduite à la cour de celui-ci.

Fromage des plaines, fromage du pauvre

Quelle que soit la véritable origine de la cancoillotte, ce qui est sûr, c’est que ce fromage était par excellence le fromage du pays comtois, sauf dans la haute montagne et sur les plateaux, où le lait était abondant et où l’on fabriquait du gruyère appelé autrefois "Vacherin". La cancoillotte est le fromage du bas pays, le fromage des vallées. Ainsi, n’est-il pas étonnant de constater que sa consommation est plus importante en Haute-Saône que dans le Haut-Jura.

Avant de porter le nom de "cancoillotte", cette spécialité a d’abord été appelée "fromage fondu" (certainement en raison de sa préparation), "fromage gaudot" (à cause de ses similitudes avec les gaudes refroidies), "fromage de ménage", "fromagère" ou encore "fromage de femme". L’appellation actuelle ne s’est généralisée qu’à la fin XIXème siècle, et son orthographe a varié avec le temps (cancoillote, canquoillote, canquoillotte, voire "camoillotte" (dans le patois de Montbéliard). Sa prononciation semble également quelque peu varier en fonction des zones géographiques à l’intérieur du territoire franc-comtois : même si le "kan-koi-yotte" du Nord (Haute-Saône, Doubs et Territoire de Belfort) est la prononciation officielle, il faut bien admettre l’existence du "kan-ko-yotte", plus répandu au Sud (Jura).

Fabriquée essentiellement dans les fermes, la cancoillotte entrera dans l’ère industrielle lors de la première guerre mondiale (1914-1918), grâce à la géniale idée de Laurent Raguin, qui décide de la stériliser et de la conditionner dans des boîtes de fer blanc, afin d’approvisionner les soldats francs-comtois envoyés au front. Cette initiative jouera un grand rôle dans la diffusion de ce produit.

Par conséquent, depuis plusieurs siècles en Franche-Comté, paysans et fromagers fabriquent de la cancoillotte. Cette spécialité de fromage fondu est consommée à 90 % dans la région et force est de constater que l’exportation de ce produit typiquement franc-comtois a encore beaucoup de mal à franchir les limites de la région.

L’ingrédient de base : le metton

Après avoir été écrémé, le lait est abandonné à température ambiante, de façon à le faire coaguler : on obtient alors du lait caillé.

En faisant chauffer celui-ci au bain-marie, entre 60 et 80 °C, on le purge de son petit lait.

Il suffit enfin de le presser pour l’égoutter, et on obtient un bloc de metton blanc et sec. Notez que la plupart des fermes possédaient leur pressoir à metton, dont on peut encore voir des exemplaires aux musées de Champlitte et de la Citadelle de Besançon.

Avant de pouvoir en faire de la cancoillotte, le metton doit être affiné (on parle également de " mûrissement ", voire de " pourrissement " du metton) : après voir été émietté, le metton est gardé au chaud pendant quelques jours. Lorsqu’il est affiné, il a pris une couleur jaune, une consistance un peu élastique et une odeur caractéristique et forte de fermentation. A ce stade, il est pratiquement impossible d’y goûter et de l’apprécier.

Description de la cancoillotte nature

Pour vous aider à vous faire une idée plus précise de ce produit, voici une présentation des caractéristiques de la cancoillotte nature à base de lait écrémé, d’après une étude, réalisée par des étudiants en agro-alimentaire de l’école Polytech’Lille de Villeneuve d’Ascq en 2003. Pour que l’analyse soit pertinente, ils ont pris soin de déguster des cancoillottes nature de plusieurs marques, aussi bien à chaud qu’à froid.

 Odeur :
En général, la cancoillotte semble avoir à froid une odeur salée, légèrement piquante. Elle a une odeur caractéristique de lait fermenté. Ces odeurs ne sont pas très perceptibles à froid, mais sont plus fortes à chaud.

 Couleur :
La couleur jaunâtre/blanc cassée, homogène du fromage froid s’accentue lorsqu’on le chauffe.

 Texture :
A froid, la cancoillotte est apparue compacte, ferme, semi-liquide, collante et élastique. En effet, elle s’étend dans l’ensemble du récipient à chaque fois qu’on y prélève
une partie du fromage. De plus, elle est facilement tartinable sur du pain à température ambiante.
A chaud, la cancoillotte devient coulante et facile à étaler. Lors de la dégustation proprement dite, la cancoillotte fond sous le palais et sa
texture est lisse, douce, non granuleuse.

 Goût :
La cancoillotte froide est salée et acide. Elle possède le goût caractéristique du beurre. Un arrière goût de lait fermenté reste dans la bouche.
A chaud, elle garde les mêmes caractéristiques, mais un léger goût fruité fait son apparition.
Cependant, lorsqu’un ingrédient tel que l’ail ou le vin est ajouté à la cancoillotte, ce dernier
influence fortement son goût.

Les dérivés de la cancoillotte

La cancoillotte nature à base de lait écrémé, peut être agrémentée de divers
ingrédients permettant ainsi de créer ses dérivés et satisfaire ainsi le goût des consommateurs. On peut ainsi trouver sur le marché, de la cancoillotte :

 au beurre
 à l’ail, à l’ail rose, à l’ail et fines herbes
 à l’échalotte
 au vin blanc, au vin jaune, au savagnin
 au kirsch
 aux noix
 au jambon

Conditionnement de la cancoillotte

Grâce à la stérilisation du produit imaginée et réalisée par Laurent Raguin, la cancoillotte peut voyager dans toute la France à partir des années 20, grâce à un nouveau type de conditionnement : les boites métalliques. Puis apparaissent les pots en carton paraffiné et enfin les pots en plastique à partir de 1960. Plus récemment, ont été introduits sur le marché des pots en verre fermés d’un couvercle métallique.

La fabrication de la cancoillotte en conserve a disparu après que la maison Raguin a décidé d’en arrêter la production en 2002 et les pots en carton pour le conditionnement de la cancoillotte ont été rangés au rayon des souvenirs. Par contre le pot en plastique très
pratique et peu cher est majoritaire sur le marché. Les pots en verre plus coûteux renforcent
le coté traditionnel et l’aspect qualitatif du produit sur les devantures des magasins et les
rayons des supermarchés.

La conservation de la cancoillotte

La cancoillotte peut se conserver au réfrigérateur entre 15 jours à 2 mois à une température comprise entre 0°C et 8°C. Cette durée de conservation est relative au type et à la durée du traitement thermique que le fromage a subi. De même, elle varie entre la fabrication artisanale et industrielle. A noter qu’il est tout à fait possible de la conserver au congélateur, ce qui constitue une excellente nouvelle pour tous les amateurs de cancoillotte qui habitent hors de la zone de production du fromage.

La préparation de la cancoillotte

Alors tu prends le metton
Que tu verses dans le caquelon
Avec de l’ail, avec du beurre
Avec ton manche, avec ton cœur
Il faut touiller, ça c’est sûr
Sinon ça d’vient d’la confiture
La cancoillotte, c’est tout un art
Il faut rien laisser au hasard

Hubert-Félix THIEFAINE

La recette tient en quelques lignes et une petite demi-heure : dans une casserole, mélanger le metton avec de l’eau (la moitié du volume de metton), et faire chauffer tout doucement. Faire fondre en remuant, et ajouter du beurre et des assaisonnements (au choix : ail, jambon, herbes, vin blanc, vin jaune...). Porter ensuite à ébullition quelques minutes, et votre cancoillotte est prête.

Notez que la cancoillotte est un fromage particulièrement maigre (2 à 8% de matières grasses). Voici la composition d’une cancoillotte industrielle (qui contient en général moins de beurre qu’une cancoillotte faite maison) :

 Matière grasse : 3,8%
 Protéine : 18,3%
 Chlorure de sodium : 2%
 Cholestérol : 0,01%
 Glucides : 0%
 Calories : 107 calories pour 100 g de cancoillotte

Modes d’utilisation de la cancoillotte

En Franche-Comté, la cancoillotte est majoritairement dégustée à froid sur du pain au moment des repas, du petit déjeuner ou du goûter. Elle est également étalée sur des
toasts lors de l’apéritif.

Dans les autres régions, elle est préférée chaude, intégrée à différents plats. On peut
ainsi imaginer :

 De la cancoillotte chaude sur des pommes de terre cuites à l’eau ou au four. On accompagnera ce plat d’une salade verte ou de saucisse de Morteau.

 Des oeufs sur le plat ou une omelette garnis de cancoillotte chaude. On accompagnera ce plat de pommes de terre frites ou de pommes de terre sautées.

 Une fondue à la cancoillotte dans laquelle on trempe des morceaux de pain, des croque-monsieur à la cancoillotte au lieu du Comté ou des tartelettes à la cancoillotte.

 Un assortiment de petits légumes cuits (tomates, carottes, petits pois, choux-fleurs, brocolis...) garnis de cancoillotte chaude.

Cette liste de recettes n’est pas exhaustive, mais elle regroupe les utilisations
majeures de la cancoillotte chaude en France.
Dans tous les cas, la cancoillotte s’accompagne à merveille d’un vin blanc du Jura.
Retrouvez d’autres idées dans nos recettes maison.

Les différentes marques de cancoillotte

 La Cancoillotte Bernard (Maison Bernard - 23-25, rue du stade - Lemud - 57580 REMILLY - 03 87 64 63 17) : est fabriquée, tenez-vous bien, en Lorraine ! Surprenant pour cette spécialité fromagère typiquement comtoise. A vous de juger si elle est meilleure que la nôtre ! Mais pas de chauvinisme, car nous nous sommes laissés dire que cette fromagerie allait peut-être reprendre la production de la cancoillotte en conserve, malheureusement abandonnée par l’entreprise Raguin. Voilà qui devrait ravir les lointains amateurs de "ce mets bien franc-comtois".

 La cancoillotte Le Francomtois (S.A.S. Le Francomtois - 32 rue de Marseille - 90000 Belfort) : L’entreprise "Le Francomtois" est née le 1er octobre 2003 de la reprise de la Centrale laitière de Franche-Comté. Elle appartient au groupe "Coopérative agricole laitière de Blamont", "l’Union lorraine des producteurs de lait" et la "Laiterie coopérative de Freiwald". Aujourd’hui, avec un effectif de plus d’une centaine de personnes, la société produit sur le site de Belfort des pâtes pressées cuites (emmental et gruyère), de la crème fraîche épaisse, de la crème de brie et de munster et de la cancoillotte, dont la recette originale à l’échalotte a reçu en 2004 la médaille d’or lors du concours des fromages de Trépôt-Mamirolles, seul concours professionnel de tout le grand Est.

 La Cancoillotte Poitrey (La Belle Etoile - 25770 FRANOIS - 03 81 52 24 28) : La Belle Etoile est le nom d’un petit village à côté de Besançon. C’est là que la Fromagerie Poitrey fabrique sa Cancoillotte depuis 1880. Depuis, la fromagerie s’est développée régulièrement pour faire face à la croissance des ventes et aux besoins d’amélioration des procédés de fabrication. Découvrez toute la gamme de cancoillottes de l’entreprise sur le site internet, avec notamment les recettes originales que sont "la cancoillotte gourmande au Kirsch de Fougerolles" ou "Cancoillou", la cancoillotte pour le goûter.

http://www.poitrey.fr

 La Cancoillotte Raguin (RAGUIN TERROIRS AUTHENTIQUES - 4, rue Lanchy - 25530 VERCEL VILLEDIEU LE CAMP - 0 810 118 119) : est une entreprise de taille artisanale, mais qui produit l’une des plus fameuses cancoillotte de Franche-Comté. Malheureusement, on ne visite pas. Mais vous pourrez vous consoler en consultant leur très beau site qui présente entre autres, les différents produits, un historique du fromage et de "la saga" de la famille, ainsi que quelques recettes à savourer sans modération. Dernière nouveauté : les verres décorés avec un cheval comtois ou une vache montbéliarde ! Petit bémol, l’entreprise a décidé de mettre fin à la production de pots en conserve, qui faisaient le bonheur des franc-comtois expatriés.